Lundi, l’aviation américaine a bombardé 116 camions-citernes à la frontière entre la Syrie et l’Irak. Une première depuis le début des frappes aériennes en août 2014. Jusque-là, le Pentagone avait évité de s’en prendre à de telles cibles pour ne pas risquer de tuer des civils (des chauffeurs de poids lourds qui n’appartiennent pas à l’État islamique), explique le New York Times.

Les attaques terroristes de ce week-end à Paris ont apparemment changé la donne. Car le pétrole est vital pour l’État islamique (EI). Non seulement il lui permet de soutenir son effort de guerre – en alimentant ses véhicules et ses tanks en essence – mais il représente également une manne financière des plus importantes pour administrer son territoire entre la Syrie et l’Irak.

«Le pétrole est sur le territoire que l’EI contrôle, explique Jean-Charles Brisard. Ils ont maintenu les installations de pompage, en extraient et le revendent ensuite directement sur place, aux puits, à des intermédiaires, poursuit le spécialiste du terrorisme qui prépare actuellement un rapport sur le financement de l’organisation. Puis ces derniers le transportent en Turquie, au Kurdistan, en Syrie, en Irak, il est vendu aux rebelles (syriens), à tout le monde.»

500 millions par année

Dans une enquête publiée à la mi-octobre, le Financial Times a estimé que l’EI produisait entre 34 000 et 40 000 barils de pétrole quotidiennement. Le baril (159 litres) étant vendu entre 20 et 45 dollars selon les cas, cela lui rapporterait, en moyenne, 1,5 million de dollars par jour. Soit 500 millions par année.

Pour Francis Perrin, directeur de la revue Pétrole et gaz arabes, il est impossible de chiffrer précisément les revenus pétroliers de Daesh, notamment du fait que la situation sur place évolue sans cesse en raison des attaques aériennes. Selon lui toutefois, une chose est sûre: les frappes américaines couplées à la chute des prix du pétrole ont conduit à une érosion des revenus de Daesh de moitié au moins depuis l’été dernier. «Quand ils ont pris Mossoul en juin 2014, le baril valait 115 dollars, rappelle-t-il. Aujourd’hui il n’en vaut plus que 45.»

Jean-Charles Brisard confirme. D’après lui, les revenus pétroliers de l’EI seraient passés de plus d’un milliard de dollars par an à 600 millions actuellement. «Selon des sources américaines, précise-t-il, ils essaient désormais de compenser cette baisse en extrayant plus de pétrole de chaque puits grâce à du nouveau matériel qui sort d’on ne sait où.»

«Ne pas tout détruire»

Entre août 2014 et octobre 2015, les États-Unis et leur coalition ont visé à 196 reprises des installations pétrolières sur un total de 10 600 frappes, selon le Financial Times. «Notre but n’est pas de les détruire entièrement ni de les rendre totalement inutilisables, a toutefois expliqué la semaine dernière le colonel Steve Warren, porte-parole du Pentagone. Nous devons nous rappeler qu’il y aura un après-guerre, que celle-ci se terminera un jour.»

En attendant, les moyens de stockage, les puits, les raffineries (parfois mobiles, «celles qui tiennent sur un camion», précise Francis Perrin) font partie des objectifs de la coalition. Au même titre que les convois de camions-citernes désormais. Lors de la réunion du G20 qui s’est tenue à Antalya le week-end dernier, le président russe Vladimir Poutine en a d’ailleurs profité pour montrer des photos aériennes à ses «collègues» d’un convoi long de plusieurs douzaines de kilomètres en attente de chargement. Selon lui, ces images prouvent l’ampleur du trafic illégal de pétrole et de produits pétroliers et démontrent la nécessité de frapper l’EI à son portefeuille.

Ces camions-citernes, qui effectuent des allers retours entre les sites contrôlés par l’EI et la Turquie principalement, appartiennent à des réseaux criminels la plupart du temps. Des contrebandiers bien organisés qui se sont fait la main durant des années en acheminant, sur les mêmes routes qu’aujourd’hui, du pétrole irakien ou iranien soumis à embargo, explique Francis Perrin. Et de poursuivre: «Ces criminels prennent de grands risques en traitant avec Daesh si bien que ce risque représente un coût financier pour l’organisation. Ainsi, quand le baril valait 100 dollars sur les marchés, l’EI parvenait à en retirer peut-être 45, voire 50 dollars tout au plus en le vendant.»

Autres sources de financement

Les frappes aériennes ne sont pas le seul moyen de s’attaquer aux revenus liés au pétrole de l’EI. Les États-Unis veulent également s’en prendre à ceux qui en achètent. Comme l’a révélé Le Temps au mois de mai, des officiels américains sont ainsi venus en Suisse, fin 2014, pour discuter avec des grands groupes du négoce international afin d’échanger des idées sur les différentes sources de financement de l’organisation. Pour les Américains, c’était l’occasion de mieux comprendre, avec l’aide de professionnels du secteur, la manière dont l’EI parvenait à faire sortir son pétrole d’Irak et de Syrie, avait alors expliqué le Seco.

De leur côté, conscients des menaces qui planent sur leurs champs de pétrole, les dirigeants de l’EI n’ont pas attendu les frappes aériennes pour diversifier leurs sources de revenus. Outre le pétrole, qui pèse pour la moitié du budget annuel au moins selon les experts, on citera le trafic d’antiquités, les demandes de rançons, le commerce de coton (très présent dans le nord-est de la Syrie) et les taxes imposées à la population. «Avec la baisse des revenus liés au pétrole, ils ont augmenté les taxes et les extorsions, souligne Jean-Charles Brisard. Ils prennent, par exemple, 50% du salaire des fonctionnaires à Mossoul. Salaire qui est toujours versé par le gouvernement central», conclut-il.