Cette confiance, Chloé Morin passe son temps à la décrypter. Aujourd’hui chercheuse pour la Fondation Jean Jaurès, cette trentenaire exerçait, de 2014 à 2017, la fonction de conseillère chargée des études d’opinion auprès de Manuel Valls, alors premier ministre. Or comment ne pas s’interroger, en lisant son ouvrage, sur un autre essai: Les Raisons de la défiance de Luc Rouban (Presses de Sciences Po). Directeur de recherche au CNRS, l’auteur pose, à travers son analyse, la pertinente question du baromètre. «On peut penser que les mécanismes d’évaluation des politiques publiques sont faussés à la base et qu’ils ne peuvent guère servir à renforcer la vie démocratique en France», écrit-il, à propos du jugement porté sur le comportement de l’exécutif durant la crise sanitaire.
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Mécanismes? Connectez-vous sur n’importe quelle chaîne TV française ou ouvrez n’importe quel journal: la réponse est là, sous forme de sondages, d’enquêtes d’opinion ou de baromètre des personnalités françaises. Elle se lit sous forme de pourcentages assénés comme des évidences. «Cette insupportable avalanche de chiffres qui est utilisée pour marteler les choses, pour bourrer la tête des citoyens», selon François-Xavier Lefranc, le rédacteur en chef de Ouest-France, le premier quotidien régional français qui, en octobre, a décidé de ne plus en publier jusqu’à la présidentielle.
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Cette question sur les sondages revient beaucoup ces temps-ci – et ce n’est pas surprenant – dans l’entourage d’Eric Zemmour, candidat crédité pour l’heure de 10 à 13% des voix au premier tour selon la plupart des estimations. Fiable? Pas vraiment selon Cluster 17, un laboratoire d’études qui classe les électeurs en familles politiques, et détaille les profils et intentions de vote de chacune d’entre elles. Son fondateur, Jean-Yves Dormagen, l’a expliqué dans Le Figaro: «Je constate que Zemmour est l’un des candidats sur lequel les différences sont les plus importantes. Nous l’estimons, comme Harris Interactive, à 14%, alors que d’autres enquêtes le mesurent à moins de 12%. C’est un écart en réalité réduit, mais qui modifie substantiellement la lecture des rapports de force et des chances de qualification au second tour. Du fait qu’il clive énormément, il se peut qu’il soit sous-évalué et cela d’autant plus que nous n’avons pas d’historique électoral le concernant.» Premier avertissement.
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Le deuxième coup de semonce vient de l’opaque fabrique sondagière, que Luc Bronner a démontée en novembre dansLe Monde après avoir répondu à des dizaines de questionnaires en ligne sous de fausses identités: «Derrière la communication des instituts de sondage […] dont l’activité principale est de répondre aux commandes des entreprises sur leur stratégie et plus encore sur leur image, se cache un système particulièrement opaque: le recours à des panels de consommateurs, recrutés sur internet, sans véritable contrôle ni régulation, en échange d’une rémunération modique, pour donner leurs opinions sur tous les sujets imaginables», affirme l’enquêteur. Et d’ajouter: «De nombreux sondages déjà publiés pour l’élection présidentielle 2022 ont, jusqu’à présent, tous été conduits de cette manière.»
Il ne s’agit pas de nier l’utilité du baromètre. La question est sa fiabilité, et surtout le risque de voir s’installer un écran de fumée électoral, dans un sens ou un autre, vu le tsunami de statistiques et de pourcentages assénés au quotidien. Peut-on faire confiance aux sondages français à moins de trois mois du premier tour de scrutin, le 10 avril? Pour ma part et pour toutes ces raisons, la réponse est non.
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