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Acquittador, Me Eric Dupond-Moretti

Il est la dernière chance judiciaire de Jérôme Cahuzac. Réputé pour obtenir les plus improbables acquittements, Me Eric Dupond-Moretti n’a pas choisi de soigner l’image de son client. Au contraire: c’est en dissociant l’homme des faits qu’il espère remporter ce combat

Eric Dupond-Moretti est la dernière chance de
               
              Jérôme Cahuzac.  — © ERIC FEFERBERG
Eric Dupond-Moretti est la dernière chance de   Jérôme Cahuzac.  — © ERIC FEFERBERG

L’ours qui s’apprête à rugir demande des pastilles pour la gorge. 16h15 ce mardi, lors d’une suspension d’audience de la Cour d’appel de Paris. Eric Dupond-Moretti est là, face aux journalistes, à réclamer de l’aide pour calmer sa toux. Coïncidence: l’auteur de ces lignes sort d’une méchante angine et lui tend un remède. L’avocat scrute notre badge, voit «Le Temps», et prend alors quelques minutes pour évoquer son dernier passage sur les bords du Léman, en 2015, à l’invitation de l’Ordre des avocats vaudois. Tandis que les caméras filment ses moindres gestes, et que Jérôme Cahuzac se morfond à l’intérieur pour éviter la ruée médiatique, «Acquittador» nous demande même de «faire une bise» à Fati Mansour, chroniqueuse judiciaire du journal. Ce sera fait. Le grand fauve des prétoires aime impressionner et cajoler la presse.

On l’avait, voici trois ans tout juste, interrogé sur son surnom «d'Acquittador» (ou Acquittator), contraction d’acquittement et de toréador, en hommage à cette tauromachie qu’il avoue apprécier. Février 2015. Dans la grande salle du sous-sol du Palais de justice de Lille, fruit des délires de bétonneur des années 60, le défenseur star était resté tapi, silencieux, durant le procès pour proxénétisme aggravé de Dominique Strauss-Kahn et de ses acolytes du réseau «Carlton».

Lui défendait David Roquet, cet ex-cadre de la société Eiffage, accusé d’avoir organisé la logistique des sorties débridées de l’ancien patron du FMI. Au final? Une relaxe de son client, comme pour la plupart des prévenus, dont DSK. Et déjà ce débat entre la justice et la morale, entre la lame affûtée du droit et les contours sinueux de l’existence: «L’hyper-moralisation pourrit notre société, nous expliquait-il quelques mois plus tard, à l’issue d’une présentation de son premier livre Bête noire. Or les magistrats ne vivent pas hors sol. Ils jugent à un moment donné, à une époque donnée, dans un climat donné.»

Le doute comme une arme

L’acquittement est le «graal» de tout pénaliste. Il redonne vie à l’accusé, mais témoigne surtout du fait que le doute l’a emporté. «Acquittador», machine à faire douter les juges? «Dupond-Moretti a cette capacité rare de diagnostiquer la bonne faille dans le raisonnement judiciaire, explique un magistrat qui a souvent ferraillé avec lui. Au fond, il ne défend pas une personne. Il défend l’idée même du doute. Sa tactique, c’est d’ébranler les fondamentaux.» Traduction immédiate au procès en appel de Jérôme Cahuzac, qui se poursuit jusqu’au 21 février. Assis juste derrière l’ancien ministre du Budget accusé de fraude fiscale, notre homme ne protège pas son client. Il en brosse au contraire un portrait au burin, dénué de finesse et d’empathie. Oui, Cahuzac était un forcené de l’ambition. Oui, ce type séduisant au physique de boxeur était facile à détester. Oui, les soutes de sa réussite passée sont peu reluisantes. «Vous auriez pu ne pas faire de politique, dit-il en s’adressant à lui. Puis vous auriez pu renoncer à vos ambitions. Mais alors, il vous serait resté quoi?» C’est la faute d’un homme seul, perdu dans ses fantasmes de pouvoir, que la justice doit évaluer.

On feuillette ses trois livres, dont le tout dernier, Directs du droit, publié en 2017 aux Editions Michel Lafon, comme les précédents. L’éditeur dit tout. Les avocats stars du Barreau de Paris (il s’y est inscrit après avoir quitté Lille) préfèrent les maisons d’édition plus capées que ce grand producteur de livres populaires, version trash. «Acquittador», lui, a fait de la provocation un miroir utile et déformant. Côté public, ce chasseur-bouffeur-fumeur incarne l’archétype du mâle dominant.

Côté justice, il est un avocat haï par les parties civiles, surtout après sa défense d’Abdelkader Merah et de Georges Tron, l’élu accusé de harcèlement sexuel dont il est parvenu à torpiller le procès en utilisant les remords off du président du tribunal. Côté privé, son itinéraire est bien plus policé. «Dupond», comme le surnomment certains collègues – Moretti était le nom de sa mère, femme de ménage, qui l’a élevé dans la région de Valenciennes –, vit avec la chanteuse canadienne Isabelle Boulay, fine interprète des refrains populaires-intellos de Serge Reggiani. Son compagnon de plume, pour ses ouvrages, est le chroniqueur judiciaire du Figaro Stéphane Durand-Souffland. La bourgeoisie parisienne aime ses éclats. Cet homme-là plaide comme il est: rugueux à l’extérieur, subtil à l’intérieur.

Pourfendeur de certitudes

Retour au procès Cahuzac. Le contraste est saisissant. En première instance, Me Jean Veil, conseil patelin de l’ancien ministre, s’était calé dans le rôle du confesseur, après avoir reçu, le 2 avril 2013, les premiers aveux de son client. Eric Dupont-Moretti, lui, plaide là où ça fait mal. Patricia Cahuzac, l’ex-épouse condamnée à 2 ans ferme et qui n’a pas fait appel, est, en une phrase, presque présentée comme l’une des responsables des malheurs judiciaires de son ex-mari. La politique, le mouvement rocardien (auquel appartenait Cahuzac) et l’ancien président François Hollande sont désignés comme potentiels coupables.

La fraude fiscale et l’exil du compte bancaire en Suisse, puis à Singapour via des sociétés-écrans au Panama et aux Seychelles, ennuient à mourir ce pourfendeur de certitudes. Lui qui déteste la prolifération des normes et des règlements n’est en rien ébranlé par les mensonges de l’ancien ministre pour y échapper. Son associé, Antoine Vey, tignasse et barbe blonde, veille à ses côtés, en bon officier en second. Traumatisé à vie, dit-on, par l’affaire de ce grand-oncle retrouvé mort en 1957 dans des conditions suspectes et pour lequel une enquête ne fut jamais ouverte, «Acquittador» fait parler les faits à sa manière, convaincu que l’engrenage judiciaire a toujours besoin d’un grain de sable. Jérôme Cahuzac a menti. Souvent, beaucoup, à tous, et surtout à lui-même. Et alors? Mentir malgré les évidences, y compris devant l’Assemblée nationale, n’est-ce pas la preuve que la vérité des hommes restera toujours un leurre?

Repères:

Avril 1961:  Naissance à Maubeuge. Elevé seul par sa mère après le décès précoce de son père.

1984: Serment d’avocat à Douai. S’inscrit au Barreau de Lille.

Mars 1987: Obtient son premier acquittement.

Juillet 2004: Pilier de la défense lors du procès du soi-disant réseau pédophile d’Outreau. Devient une figure nationale du barreau.

Octobre 2017:  Défenseur d’Abdelkader Merah, frère de l’auteur des attentats de Toulouse en mars 2012.

Février 2018:  Défend en appel l’ex-ministre socialiste du Budget Jérôme Cahuzac, accusé de fraude fiscale.