Si l’opposant Alexeï Navalny a été empoisonné, son calvaire ne fait que commencer. Après vingt-quatre heures passées en observation dans un hôpital moscovite, le chef de file de l’opposition russe a été reconduit lundi sous bonne escorte dans sa cellule, où il purge une peine de 30 jours pour «incitation à participer à une manifestation interdite». Il doit encore tenir 24 jours dans un «centre de détention spécial» avant sa libération.

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Agé de 43 ans, Alexeï Navalny présentait dimanche matin les signes d’une violente allergie. Selon ses proches, son visage était gonflé et couvert de plaques rouges. Un intense traitement anti-inflammatoire a mis fin aux symptômes. A l’hôpital municipal n° 64, où l’opposant a été soigné, le docteur Elena Sibikina a indiqué à la presse que la situation de son patient s’était «améliorée» et que sa «vie n’est pas en danger». L’hypothèse évoquée par les proches de l’opposant selon laquelle il a été empoisonné «n’est pas prouvée», selon la médecin, qui n’a donné aucun détail sur les causes possibles des symptômes, prétextant «le secret médical» et la nécessité de protéger la confidentialité du patient.

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Risque d’une intoxication plus grave

C’est pourtant la transparence qui serait dans les intérêts d’un patient particulièrement odieux au Kremlin. Les proches d’Alexeï Navalny ne cachent pas qu’ils n’ont aucune confiance dans le personnel médical d’un hôpital public, entièrement subordonné aux autorités. «Le docteur Ildar Kazakhmedov [l’un des médecins de l’hôpital n° 64] a refusé de communiquer le diagnostic à l’épouse et à l’avocat d’Alexeï. En revanche, il s’est répandu en détail à [l’agence de presse] Interfax et à un homme non identifié en uniforme, qui commandait les policiers», déplore sur Twitter l’attachée de presse de l’opposant Kira Yarmych.

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Prenant le contre-pied de ses confrères, le médecin personnel de l’opposant Anastasia Vassilieva se dit «catégoriquement opposée» au renvoi de son client vers sa cellule, car «les résultats des analyses ne sont pas prêts». Pour elle, «l’agent toxique qui a provoqué l’œdème de Quincke et l’éruption cutanée reste inconnu. Il n’y a pas eu de consultation d’un toxicologue». Et surtout, elle avertit qu’exposer à nouveau Alexeï Navalny dans sa cellule «au même agent chimique» lui fait encourir le risque d’une «intoxication et une sensibilisation répétées, qui peuvent réellement conduire à une maladie grave».

D’autres poisons

L’incident remet en mémoire l’agression subie par Alexeï Navalny en 2017, lorsqu’une substance chimique jetée à son visage avait gravement brûlé sa rétine. Plusieurs mois de traitement (en partie à l’étranger) avaient été nécessaires pour que l’opposant récupère pleinement ses facultés visuelles. Difficile aussi de ne pas penser au décès dans d’atroces souffrances d’Alexandre Litvinenko, empoisonné en 2006 au polonium et de la tentative ratée l’année dernière contre Sergueï Skripal avec une substance neurotoxique.

Deux hommes horripilant Vladimir Poutine, tout comme l’opposant Boris Nemtsov, tué par balles en 2015 à deux pas du Kremlin. Le pouvoir russe dément avec vigueur toute implication dans ces attaques, et refuse de livrer à la justice britannique les suspects identifiés dans les deux affaires. Dans le cas de Boris Nemtsov, seuls les exécutants de l’assassinat ont été traduits en justice, tandis que le ou les commanditaires restent «inconnus». Montré du doigt, le Kremlin dénonce dans les accusations une «volonté occidentale de diffamer la Russie».

Répressions accrues

Les ennuis de santé d’Alexeï Navalny interviennent au moment où le pouvoir prend soin d’isoler le principal opposant à Vladimir Poutine dans un contexte de tensions politiques croissantes dans le pays. Des manifestations se répètent chaque samedi dans les rues de la capitale pour réclamer l’inclusion de candidats de l’opposition dans le système électoral russe. Le Kremlin et la mairie de Moscou font face à une mobilisation sans précédent de l’opposition depuis 2012.

La répression politique s’étend aux autres leaders de l’opposition. Ilia Iachine et deux autres candidats au parlement de Moscou ont chacun reçu lundi une peine de 10 jours de prison, pour avoir appelé à manifester samedi prochain. Plus de 1200 manifestants ont été interpellés, souvent rudement, au cours de la manifestation interdite de samedi dernier dans le centre de Moscou. Vingt-sept d’entre eux font d’ores et déjà l’objet de poursuites pénales pour «violence à l’encontre des représentants des forces de l’ordre», sous un article qui leur fait risquer jusqu’à 10 ans de prison.