Alexeï Navalny repart au combat contre le Kremlin
Russie
L’opposant n’est qu’au début de sa convalescence, mais il promet déjà de remonter au front. Pour lui, il n’y a aucun doute: c’est le président russe qui a cherché à l’éliminer

Le combat repart de plus belle entre Alexeï Navalny et le Kremlin. Toujours en convalescence à Berlin après avoir réchappé de justesse au poison chimique militaire «Novitchok», le principal opposant russe a accusé Vladimir Poutine d’en être l’instigateur. Le président russe est «derrière» son empoisonnement. «Je ne vois pas d’autre explication», a-t-il déclaré à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qui a publié jeudi le premier entretien avec l’opposant depuis l’incident du 20 août dernier, qui a failli lui coûter la vie.
Pour l’opposant, seules deux ou trois personnes peuvent avoir donné l’ordre de produire et d’utiliser du Novitchok: le directeur du FSB (service fédéral de sécurité) ou celui du SVR (renseignement étranger). Eventuellement, le patron du GRU (renseignement militaire). Et, aux yeux d’Alexeï Navalny, ils n’ont pas pu prendre cette décision sans en avoir reçu l’ordre de Vladimir Poutine.
Der Spiegel décrit un Navalny physiquement affaibli, dont les mains tremblent lorsqu’il veut saisir un verre. La langue de l’opposant reste en revanche bien pendue et ses propos acerbes: «Je ne ferai pas le cadeau à Poutine de ne pas retourner en Russie. Ne pas rentrer signifierait que Poutine a atteint son objectif. […] Mon devoir est à présent de rester comme je suis, quelqu’un qui n’a pas peur. Et je n’ai pas peur!»
Alexeï Navalny fait l’objet d’un harcèlement policier et judiciaire constant depuis dix ans. Tous ses faits et gestes sont quotidiennement guettés par le FSB. Il a déjà été agressé dans la rue par des activistes pro-Kremlin qui lui ont jeté dans les yeux, en 2017, une substance chimique inconnue qui a failli lui faire perdre la vue. Il estime aussi avoir été empoisonné lors d’un séjour en prison l’année dernière.
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Une nouvelle stature
Trois laboratoires européens ont déterminé que l’empoisonnement de l’opposant russe est le fait d’un agent neurotoxique de type Novitchok, conçu à des fins militaires à l’époque soviétique et dont la Russie affirme tantôt s’être totalement débarrassée il y a trois ans, tantôt n’en avoir jamais produit. Les chancelleries occidentales ont exigé de la Russie des explications et l’ouverture d’une enquête. Moscou rejette toutes les accusations et a refusé d’ouvrir une enquête pénale.
Le scandale provoqué par l’empoisonnement d’un opposant politique au moyen d’une arme chimique a donné une stature internationale à l’opposant. La chancelière allemande a personnellement rendu visite au militant lorsqu’il se trouvait à l’hôpital Charité de Berlin, où il a passé un mois. «J’ai été impressionné de découvrir à quel point elle comprenait avec discernement la situation en Russie, dit de la chancelière Alexeï Navalny. C’est en discutant avec elle que j’ai compris pourquoi elle était au sommet de la politique allemande depuis si longtemps.»
Au sommet du pouvoir russe, on n’attend pas les bras ouverts un éventuel retour. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a bien affirmé qu’il est «libre» de rentrer en Russie. Mais il a aussi insinué que l’opposant travaillait pour le compte de la CIA. Jeudi, Alexeï Navalny a contre-attaqué, indiquant qu’il poursuivra Dmitri Peskov en justice pour diffamation. «S’il crève, tant mieux. Et s’il survit, nous dirons qu’il travaille pour la CIA», titre un article publié par l’opposant sur son site internet. La photographie accompagnant le texte indique qu’il place ces mots dans la bouche de Vladimir Poutine, tandis que Dmitri Peskov tend l’oreille.
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«Scélérat sans vergogne»
«Navalny est un scélérat sans vergogne. Poutine lui a sauvé la vie. Si les agences de renseignement occidentales étaient derrière ce qui lui est arrivé, alors ses déclarations commencent à avoir du sens», a déclaré le président du parlement russe, Viatcheslav Volodine, suite à l’entretien accordé à Der Spiegel.
Entre autres désagréments attendant l’opposant à son retour, la confiscation fin septembre de son appartement et le gel de son compte bancaire par des huissiers de justice agissant sur commission de l’homme d’affaires Evgueni Prigojine. Ce dernier, connu comme l’exécuteur des basses œuvres du Kremlin, réclame un million de dollars à Alexeï Navalny et à son alliée Lioubov Sobol. Evgeni Prigojine a publiquement promis de «mettre à poil» l’opposant sitôt qu’il regagnerait sa patrie.
Alexeï Navalny n’est pas encore tout à fait prêt pour ce combat. Sa convalescence en Allemagne prendra «beaucoup de temps» selon sa porte-parole. Mais l’opposant ronge son frein. Il a confié au Spiegel: «Mon devoir est de récupérer le plus tôt possible, et après cela de rentrer en Russie.»