Edgar Sonnen et son compagnon Oleg sont en couple depuis quinze ans. Le vendredi 7 mai, à Trèves, ils ont reçu la bénédiction de leur prêtre, le Père catholique Ralf Schmitz, lors d’une soirée de prière destinée aux «personnes qui s’aiment», quelle que soit leur orientation sexuelle. «C’était la première fois que nous recevions la bénédiction», explique Edgar Sonnen, directeur de banque, âgé de 51 ans. «Nous nous sentons reconnus et cela m’a fait du bien», se réjouit-il. «Etre là avec mon partenaire, de manière publique, revêt une grande signification.»

A l’image d’Oleg et Edgar, personnes et couples homosexuels à travers l’Allemagne – mais aussi à Zurich – ont pu recevoir ce week-end et ce lundi la bénédiction d’une centaine de prêtres catholiques. L’initiative, unique en son genre et à cette échelle, a été lancée en mars à la suite de la publication d’une note de la Congrégation pour la doctrine de la foi, jugeant «illicite» la bénédiction des couples homosexuels. Dans la foulée, près de 4000 agents pastoraux et prêtres allemands ont signé une pétition dans laquelle ils assurent ne pas vouloir appliquer cette décision. Cette action coordonnée de bénédictions en est l’une des premières conséquences.

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«Ni première ni deuxième classe»

A Trèves, la cérémonie a lieu en l’église du Sacré-Cœur, qui, sur la tribune, arbore un drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT. En début de cérémonie, l’organiste entame une version inattendue du hit de Gloria Gaynor I Will Survive, hymne phare de la communauté. Puis une femme lesbienne prend la parole et explique avoir été «choquée» par la note du Vatican. «Ne suis-je pas désirée par Dieu?» demande-t-elle au micro.

Des acteurs présentent ensuite une petite pièce de théâtre dans la nef de l’église, sur le thème de la dignité, avant la bénédiction en tant que telle, menée par le Père Ralf Schmitz et deux agents pastoraux. «Cette initiative coordonnée a deux avantages: elle apporte la reconnaissance et la justice», note le prélat qui, depuis deux ans, multiplie les soirées de prière et de bénédiction en direction des homosexuels.

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Si l’ampleur de cette action coordonnée a surpris ses initiateurs, elle ne concerne toutefois qu’une centaine de prêtres à travers le pays, essentiellement dans l’ouest de l’Allemagne. Aucune bénédiction n’a été organisée dans l’est, où les catholiques, minoritaires, sont souvent plus conservateurs. «A Trèves, une seule église participe», regrette Oleg, qui a reçu la bénédiction du Père Schmitz. «Tout dépend donc du prêtre, et le nôtre est fabuleux! Il nous a retenus au sein de l’Eglise», lance ce psychiatre d’origine russe.

Depuis qu’ils ont découvert cette paroisse il y a deux ans, lui et son partenaire se rendent au moins tous les mois à l’église. «Bien plus que par le passé», assurent-ils en riant. «Avant, nous assistions aux messes de Noël et de Pâques, mais jamais en nous présentant comme couple. Aujourd’hui, nous entrons main dans la main dans l’église. En amour, il n’y a pas de première ni de deuxième classe.»

«Pas un signal utile»

Cette action de bénédictions suscite toutefois des critiques, même de la part d’évêques qui se sont montrés déçus par le refus de Rome de bénir les couples homosexuels. Aucun d’entre eux d’ailleurs n’y participe. C’est le cas de l’évêque de Limbourg, Mgr Georg Bätzing, par ailleurs président de la Conférence épiscopale allemande.

«Il est évident que les personnes homosexuelles, y compris celles qui vivent en couple, ont une place dans l’Eglise. Elles sont les bienvenues chez nous», rappelle-t-il dans un communiqué. «Cependant, je ne considère pas les actions publiques comme celles prévues pour le 10 mai comme un signal utile ou comme une bonne voie. Les bénédictions ont leur propre signification pastorale. Elles ne sont pas appropriées pour des manifestations politiques ecclésiastiques ni pour des actions de protestation», juge-t-il.

Certains évêques craignent ainsi que cette action ne mette en péril le travail du chemin synodal, lancé il y a un an. Ce processus de dialogue entre la hiérarchie catholique en Allemagne et les laïcs vise à trouver des réponses à la crise que traverse l’institution depuis les scandales d’abus sexuels révélés en 2010. L’un des thèmes de travail concerne les couples homosexuels et la morale sexuelle de l’Eglise.

Sur le terrain, le Père Ralf Schmitz est toutefois peu optimiste. «Notre action est une première et est évidemment un peu anarchiste. Elle peut effrayer. Le chemin synodal, lui, est un instrument officiel qui, à mon avis, ne va porter aucun fruit concret. Je ne pense pas que le mariage des personnes de même sexe sera reconnu par l’Eglise catholique de mon vivant», lance-t-il. Edgar Sonnen hoche la tête. Lui aussi est pessimiste: «Je n’attends pas de changement de la part de l’Eglise catholique en tant que telle, mais seulement de la part de prêtres individuels. J’aimerais beaucoup me marier à l’église mais je ne pense pas en avoir jamais l’occasion.»