Angela Merkel réunissait aujourd’hui son «cabinet climat». Ce conseil des ministres restreint devait permettre au gouvernement d’avancer dans son projet de loi sur le climat prévu pour la fin de l’année. Les deux partis au pouvoir, désavoués par l’électorat sur le dossier, viennent de subir un camouflet aux élections européennes.

Les divergences entre conservateurs et sociaux-démocrates n’ayant pas pu être surmontées, le gouvernement a reporté à septembre les décisions sur sa loi climatique. Après l’été, des mesures seront fixées quant à la réduction des gaz à effet de serre, avec l’objectif d’une adoption en conseil des ministres avant la fin de l’année.

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L’Allemagne, qui a déjà raté les objectifs climatiques qu’elle s’était fixés à l’horizon 2020, sera obligée de mettre les bouchées doubles si elle ne veut pas échouer également avec les objectifs que le pays s’est assigné pour 2030: ramener les émissions de CO2 sous la barre des 100 millions de tonnes, contre 170 millions à l’heure actuelle, soit une réduction de 55% par rapport à 1990.

Gouvernement laxiste sur la question climatique

Le résultat des Européennes dimanche dernier a fait monter la pression sur la coalition. Un électeur sur cinq a donné sa voix aux écologistes. 46% des personnes interrogées au sortir des urnes ont expliqué avoir pris l’écologie en considération au moment du vote. Enfin, selon une étude réalisée en 2018 par l’Office fédéral de l’Environnement UBA et le Ministère de l’environnement, 64% des Allemands estiment que l’écologie et la protection du climat sont «un défi très important». Parmi les sondés, nombreux sont ceux qui estiment que «le gouvernement ne fait pas assez pour le climat.»

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Aux abois du fait des résultats catastrophiques enregistrés par son Parti social-démocrate dimanche (15,8% des voix), la ministre de l’Environnement Svenja Schulze, a envoyé mardi à chacun de ses collègues son propre projet de loi climatique, dans les tiroirs depuis février. «Je ne peux plus tenir compte des états d’âme de la CDU», s’est elle énervée sur Twitter. CDU et SPD sont en effet fortement divisés sur les questions environnementales.

Le ministre des Transports, Andreas Scheuer, (du Parti chrétien-social bavarois CSU), hostile aux limitations de vitesse sur l’autoroute, aux interdictions de circulation pour les moteurs diesel les plus anciens ou à la fixation d’un délai pour l’interdiction des moteurs à combustion, est particulièrement sous pression. Le ministère est le seul qui échoue depuis 1990 à réduire ses émissions. Selon les prévisions, les transports individuels devraient connaître une croissance de 5% d’ici à 2030: et même de +30% pour le trafic des marchandises, particulièrement polluant.

Vers l’introduction d’une taxe carbone?

Pour répondre aux attentes de l’opinion publique, des associations de défense de l’environnement et des experts ainsi que chaque ministère devra présenter un plan détaillé de réduction des émissions de CO2 par secteur. Le gouvernement devra également définir le prix du CO2, ce qui laisse augurer d’un vif débat autour de l’introduction d’une taxe carbone.

«Il faut sortir de l’idée que la politique climatique ne doit léser personne», souligne le vétéran conservateur Wolfgang Schäuble, ancien ministre des Finances d’Angela Merkel. De fait, aucune formation politique n’est épargnée par le risque de mécontenter une partie de son électorat, à l’exception des Grünen (Verts). Inquiets de déplaire aux automobilistes, aux constructeurs automobiles, aux bas salaires ou aux salariés de la filière charbon, CDU et SPD – qui redoutent l’éclatement d’un mouvement type «gilets jaunes» – semblent prisonniers de l’inaction.

C’est précisément ce que dénonce une autre frange de l’électorat: les jeunes et les youtubeurs. A la veille du scrutin de dimanche, 70 youtubeurs appelaient à boycotter la CDU, le SPD et le parti d’extrême droite AfD, à cause du climat.


Parmi eux, Simon Unge, connu pour ses vidéos le montrant en train de jouer à des jeux sur ordinateur, et Dagi Bee, quatre millions de followers, active elle dans le domaine des cosmétiques. Ou encore Rezo, youtubeur spécialisé dans les vidéos musicales, qui avait appelé dans le cadre d’un message de 55 minutes très documenté à boycotter la CDU. La vidéo a entre-temps été vue par 13 millions de personnes sur le Net.

Cette attaque virale inédite a mis au grand jour la difficulté des partis traditionnels à gérer les médias sociaux. «Comment réagirait le pays si 70 journaux appelaient, à deux jours d’une élection, à voter contre la CDU et le SPD? Ça aurait été de la manipulation électorale», s’emporte Annegret Kramp-Karrenbauer, dite AKK, la dauphine d’Angela Merkel qui réclame d’imposer «des règles au monde numérique».

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Rapidement, les mots-dièse «censure» ou «AKK démission», étaient en tête des tendances sur Twitter tandis qu’en interne les critiques pleuvaient sur AKK et la chancelière. «Si les primo-électeurs gagnaient leur vie, le résultat du vote aurait peut-être été différent», tweetait de son côté le secrétaire d’Etat CDU Thomas Bareiss, s’attirant une avalanche de critiques. «Après les résultats de ces élections européennes, la CDU doit se demander pourquoi, après quatorze ans de «chancelière du climat», nous manquons nos objectifs climatiques», se demande Friedrich Merz, opposant à la chancelière au sein de la CDU. «La jeune génération est très politisée, mais autrement politisée que ce que pensent les partis traditionnels. La CDU ne l’a toujours pas compris», s’inquiète de con côté Werner Bahlsen, ancien chef du Conseil économique, un organe composé de patrons allemands et proche du Parti chrétien démocrate.

«Les stars de YouTube et d’Instagram ont entre-temps une audience qui dépasse largement celle des journaux ou des partis politiques sur le Net et utilisent des plateformes étrangères à la plupart des hommes et femmes politiques, telles que Snapchat, Tiktok ou Twitch», souligne le quotidien Tagesspiegel. Pour l’heure, il est difficile de dire si ces vidéos ont eu une influence sur le vote des plus jeunes, alors que les plus de 60 ans constituent 36% du corps électoral.