Amatrice, l’horreur et la peur après le séisme
Italie
Le tremblement de terre de magnitude 6,0 qui a frappé tôt mercredi le centre de la Péninsule a fait au moins 247 morts et de nombreux disparus. Le village d’Amatrice, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de L’Aquila, est totalement ravagé

L’avenue centrale est recouverte de ruines. Les secours y accèdent en slalomant autour de tas gravats, restes des façades écroulées. Amatrice, un village de montagne du Latium, à la frontière avec les Abruzzes, est en début d’après-midi anormalement calme. Seul le bruit des pelleteuses creusant dans les bâtiments éventrés à la recherche de victimes dérangeait un silence relatif.
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A 3h36 dans la nuit de mardi à mercredi, un séisme de magnitude 6 sur l’échelle de Richter a frappé le centre de l’Italie. Il a été ressenti jusqu’à Rome, distante d’environ 150 kilomètres. Son épicentre, à seulement quatre kilomètres de profondeur, se situe près de Norcia, en Ombrie, à une quinzaine de kilomètres d’Amatrice. Au moins 39 répliques ont suivi le séisme, dont deux violentes secousses de magnitude 5,4 et 4,9, à 4h33 puis en début d’après-midi mercredi.
Notre correspondant assiste au travail des secours
Un bilan provisoire de 247 victimes
Le clocher éventré d’une église, à l’entrée du village, fait de l’ombre à un petit parc. Entouré de barrières, son entrée est bloquée par deux militaires. Derrière eux se devinent plusieurs corps sans vie recouverts de draps. Selon plusieurs témoignages, dans le seul village d’Amatrice, les victimes se comptent par dizaines. Dans la nuit de mercredi à jeudi, le bilan provisoire dans toute la région s’élevait à au moins 247 morts, selon la protection civile italienne, jeudi matin. Des centaines de personnes sont blessées, piégées dans leur maison ou encore portées disparues, précise la protection civile.
A Amatrice, les secours ont travaillé toute la journée à la recherche de survivants. Les opérations se poursuivaient dans la soirée. Un homme de 57 ans a par exemple été retrouvé vivant après avoir passé douze heures sous les décombres. Il souffre de fractures aux membres inférieurs. Des tentes ont été montées près du terrain de football pour accueillir les survivants restés sans-abri.
«Allongé sur mon fils pour le protéger»
«J’ai cru que mon réveil était en train de sonner, raconte Giorgio. Je devais me lever pour aller chercher ma femme à Rome, mais ce n’était pas encore l’heure, le tremblement de terre m’a réveillé.» Son appartement se trouve dans le centre historique désormais bloqué par les secours. «Je me suis allongé sur mon fils pour le protéger, avant d’aller chercher ma mère pour sortir», une fois la secousse terminée. La famille n’a que la lampe d’un téléphone portable pour trouver la sortie du bâtiment de deux étages plongé dans le noir. «J’y suis ensuite retourné pour récupérer quelques affaires et les médicaments de ma mère», se rappelle l’homme d’une quarantaine d’années.
Douze heures plus tard, Giorgio se trouve dans un petit espace vert à l’entrée du centre, en face du parc où les morts continuent d’être alignés. Il a avec lui deux petites valises et des biscuits. Son fils tourne en rond. La famille a été séparée. Impossible de traverser le village pour rejoindre la grand-mère. Ils espèrent pouvoir rejoindre Rome, où ils disposent d’une autre habitation. Autour du père et de son fils, de nombreux survivants sont assis sur les bancs, à l’ombre. D’autres le long de la route, sur le trottoir. Un vieil homme fait les cent pas, les yeux rougis par les larmes. Il ne souhaite pas parler. Des volontaires lui offrent de l’eau et lui demandent s’il s’est enregistré auprès des autorités. Il s’y rendra plus tard. Nombreuses sont les personnes en état de choc, ne sachant pas quoi faire.
«On dirait un bombardement»
Un jeune homme marche, lui, d’un pas rapide et décidé. Il contourne l’église et s’engage dans une ruelle du centre. Il est en train de pleurer, expliquant entre deux balbutiements avoir perdu des proches. «Je ne veux qu’une chose maintenant, c’est quitter cet enfer», lâche-t-il. Il cherche pour cela à récupérer sa voiture. Mais un tas de débris l’empêche de la rejoindre. Elle fonctionne encore, assure-t-il. Un petit tracteur arrive alors pour déblayer la route, réussissant ainsi à décrocher un semblant de sourire au jeune survivant. L’engin passe devant une voiture brisée par des restes de façades puis plonge sa pelle dans les débris.
«Nous ne laisserons personne tout seul», a rassuré dans la journée Matteo Renzi, qui a remercié tous ceux qui interviennent et qui ont «creusé même à mains nues», avant de se rendre sur place. «Il n’y a plus rien, on dirait un bombardement», a déploré quant à elle Laura Boldrini, la présidente de la Chambre des députés, présente également dans la région.
La dévastation est «pire que celle de L’Aquila, je n’ai jamais vu une chose pareille», réagit un secouriste dans l’agence de presse Ansa. Le 6 avril 2009, le chef-lieu des Abruzzes était frappé par un violent séisme, faisant 309 victimes, 1600 blessés et quelque 80 000 déplacés. Fort de ce souvenir, deux habitants de la ville sont venus à Amatrice dans l’espoir de pouvoir aider. La secousse a été ressentie à L’Aquila. «Certains habitants ont préféré sortir et dormir dehors», raconte l’un des deux hommes, expliquant que la peur sur place est toujours vive.
«Les façades s’écroulaient autour de moi»
«Tout est détruit, la ville est dévastée, plus personne ne viendra vivre ici après cela.» Armando est assis sur un banc, à l’ombre d’un arbre, dans un parc à l’entrée d’Amatrice. «C’est un village fantôme maintenant», regrette-t-il.
A 3h36, lorsque le séisme a frappé la région, il préparait du pain. Le vieil homme est boulanger. «Dès que j’ai senti la secousse, je me suis précipité hors de ma boulangerie et je me suis réfugié dans ma fourgonnette, raconte-t-il. Les façades s’écroulaient autour de moi. J’entendais les débris tomber sur le véhicule», désormais inutilisable.
Dans le tremblement de terre, Armando a perdu sa compagne et la fille de celle-ci. Assis sur son banc, il raconte son histoire spontanément. Aucun tremblement ou émotion ne s’entend dans sa voix. Le débit est lent. La fatigue est forte. Il n’a pas dormi de la nuit. Son calme est déconcertant, trahissant peut-être un état de choc. La conversation est coupée par un appel téléphonique. Il raconte à nouveau la même histoire, sur le même ton monocorde.
A quelques dizaines de mètres, les secouristes s’affairent à creuser sous les débris. Le toit du bâtiment de deux étages gît à même le sol. «L’église de Saint-François, dans le centre, est détruite», se désole Armando. Sur le clocher d’une autre église, visible depuis le parc, les aiguilles de l’horloge se sont figées sur 3h36, comme le regard du vieil homme.
Il est seul, il a besoin de parler. «Dans quelques jours, c’est la sagra, la fête de l’Amatriciana», cette sauce accompagnant les pâtes, spécialité de la région composée de tomates, de lard et de pecorino. Elle porte le nom du village et est connue à travers toute la péninsule. Mais Armando parle au présent. Peut-être ne réalise-t-il pas que dans une semaine, la fête n’aura pas lieu.