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Angela Merkel prête pour le mariage gay

Le Bundestag devrait adopter vendredi le mariage homosexuel. Une volte-face d’Angela Merkel est à l’origine de ce vote «en conscience», qui ne figurait pas au programme de coalition signé par la CDU/CSU et le SPD voici quatre ans

Angela Merkel s’est longtemps dite opposée au mariage gay «à titre personnel», surtout en raison de la question de l’adoption. — © Alexander Koerner/Getty Images
Angela Merkel s’est longtemps dite opposée au mariage gay «à titre personnel», surtout en raison de la question de l’adoption. — © Alexander Koerner/Getty Images

Trois fauteuils en cuir rose pâle ont été installés lundi soir sur la scène du Théâtre Maxime-Gorki, à Berlin. Deux journalistes du magazine féminin Brigitte discutent de politique et papotent avec la chancelière. Angela Merkel a opté pour un format décontracté, à trois mois des prochaines élections, se prêtant au jeu des questions du public. Ulli Köppe, un Berlinois de 28 ans, salarié de l’éditeur gay blu Mediengruppe et supporter d’Angela Merkel, a justement une question: «Quand pourrai-je dire «mon mari» au sujet de mon ami?»

La chancelière, dont le parti, la CDU, bloque l’adoption du mariage pour tous depuis un quart de siècle, aurait pu rester évasive. Sa réponse – «je suis favorable à une discussion qui aille dans le sens d’une prise de décision en conscience» – a finalement provoqué un raz de marée politique, semblable à la décision de mettre fin au nucléaire, dans le sillage du drame de Fukushima. Vendredi, dernière journée parlementaire avant les élections, les députés du Bundestag devraient adopter à une écrasante majorité le mariage homosexuel. Angela Merkel coupe ainsi l’herbe sous le pied du SPD, qui voulait faire du mariage gay l’un de ses principaux thèmes de campagne.

Une opposition «à titre personnel»

Petit retour en arrière. En 1990, les Verts déposent pour la première fois au parlement un projet de loi prévoyant le mariage pour tous. Depuis, l’adoption du texte se heurte à l’opposition acharnée du parti chrétien-démocrate CDU et de sa petite sœur bavaroise et catholique, la CSU. En 2001, les Verts imposent aux sociaux-démocrates de Gerhard Schröder le «partenariat de vie» qui reconnaît les couples homosexuels, mais les prive de nombreux droits par rapport aux couples mariés – notamment au niveau fiscal et concernant l’adoption.

Longtemps, Angela Merkel, qui a imposé un virage centriste à son parti, s’est dite opposée au mariage gay «à titre personnel». En cause à ses yeux: la question de l’adoption. «Je dois vous avouer que j’ai du mal avec l’idée d’une égalité totale (des couples homosexuels avec les couples hétérosexuels). Je ne suis pas sûre de ce qui est bon pour les enfants», expliquait-elle en 2013, au cours d’une interview. Lundi, au Théâtre Maxime-Gorki, elle évoque la rencontre d’un couple de femmes de sa circonscription, à qui les services d’aide à l’enfance ont confié la garde de huit enfants de familles en détresse, pour expliquer sa volte-face personnelle.

L’offensive de Martin Schulz

Angela Merkel a-t-elle imposé à son propre camp une décision que les conservateurs rejettent? L’affaire est plus compliquée, et souligne les talents de tacticienne de la chancelière. De fait, la CDU ne pouvait plus s’opposer bien longtemps au mariage pour tous. Au cours des derniers mois, les Verts, les libéraux du FDP et les sociaux-démocrates – tous trois potentiels partenaires de coalition – ont fait savoir l’un après l’autre qu’ils feraient du mariage gay l’une des conditions à leur participation au prochain gouvernement, à l’issue des élections du 24 septembre.

Lundi dans la journée, lors de leurs réunions préparatoires à l’adoption d’un programme de campagne, la CDU et la CSU semblaient prêtes à bouger sur ce dossier. Mais les deux partis n’avaient pas prévu de le faire si rapidement. Prenant sa rivale au mot, le challenger social-démocrate de la chancelière, Martin Schulz, réclamait mardi que le Bundestag inscrive l’adoption de la mesure à l’ordre du jour de vendredi. L’adoption du texte en cas de vote à la Chambre est assurée: les sociaux-démocrates, les Verts et les néo-communistes Die Linke, favorables à la réforme, détiennent une confortable majorité. Une partie des députés CDU – appelés à voter en leur âme et conscience – devraient aussi soutenir le texte.

Approbation générale de la population

L’offensive de Martin Schulz a pris Merkel de court. Le SPD espère ainsi reprendre la main alors que sa campagne électorale est enlisée. Mais Angela Merkel, en cédant sur ce point, pourrait marquer plus de points que son rival, alors que 73% des Allemands (et 64% des électeurs conservateurs) se disent favorables à l’union de deux personnes du même sexe. «Elle évite ainsi un débat passionné qui pourrait profiter aux populistes de l’AfD au cours de la campagne électorale», souligne le quotidien Tagesspiegel. Adopté à la hussarde à la veille de la pause estivale, le texte aurait en outre le temps d’être «digéré» par les plus radicaux des électeurs conservateurs d’ici au vote de fin septembre.

En précipitant les choses, le SPD acte de facto le divorce de la coalition qu’il forme avec les chrétiens-démocrates depuis 2013. Le chef du groupe parlementaire conservateur, Volker Kauder, a dénoncé «une rupture de confiance» de la part du SPD, alors que le contrat de coalition signé voici quatre ans entre les deux partenaires ne prévoyait pas l’adoption du mariage gay. «En théorie, Angela Merkel devrait renvoyer ses ministres sociaux-démocrates», rappelle le Tagesspiegel. Soucieuse d’éviter un tremblement de terre politique à trois mois du vote, la CDU tente de minimiser l’ampleur de la crise. Le climat entre les deux partenaires de coalition s’était déjà considérablement détérioré ces derniers jours, à mesure que la campagne électorale entre dans le vif du sujet en Allemagne.