Une opposition «à titre personnel»
Petit retour en arrière. En 1990, les Verts déposent pour la première fois au parlement un projet de loi prévoyant le mariage pour tous. Depuis, l’adoption du texte se heurte à l’opposition acharnée du parti chrétien-démocrate CDU et de sa petite sœur bavaroise et catholique, la CSU. En 2001, les Verts imposent aux sociaux-démocrates de Gerhard Schröder le «partenariat de vie» qui reconnaît les couples homosexuels, mais les prive de nombreux droits par rapport aux couples mariés – notamment au niveau fiscal et concernant l’adoption.
Longtemps, Angela Merkel, qui a imposé un virage centriste à son parti, s’est dite opposée au mariage gay «à titre personnel». En cause à ses yeux: la question de l’adoption. «Je dois vous avouer que j’ai du mal avec l’idée d’une égalité totale (des couples homosexuels avec les couples hétérosexuels). Je ne suis pas sûre de ce qui est bon pour les enfants», expliquait-elle en 2013, au cours d’une interview. Lundi, au Théâtre Maxime-Gorki, elle évoque la rencontre d’un couple de femmes de sa circonscription, à qui les services d’aide à l’enfance ont confié la garde de huit enfants de familles en détresse, pour expliquer sa volte-face personnelle.
L’offensive de Martin Schulz
Angela Merkel a-t-elle imposé à son propre camp une décision que les conservateurs rejettent? L’affaire est plus compliquée, et souligne les talents de tacticienne de la chancelière. De fait, la CDU ne pouvait plus s’opposer bien longtemps au mariage pour tous. Au cours des derniers mois, les Verts, les libéraux du FDP et les sociaux-démocrates – tous trois potentiels partenaires de coalition – ont fait savoir l’un après l’autre qu’ils feraient du mariage gay l’une des conditions à leur participation au prochain gouvernement, à l’issue des élections du 24 septembre.
Lundi dans la journée, lors de leurs réunions préparatoires à l’adoption d’un programme de campagne, la CDU et la CSU semblaient prêtes à bouger sur ce dossier. Mais les deux partis n’avaient pas prévu de le faire si rapidement. Prenant sa rivale au mot, le challenger social-démocrate de la chancelière, Martin Schulz, réclamait mardi que le Bundestag inscrive l’adoption de la mesure à l’ordre du jour de vendredi. L’adoption du texte en cas de vote à la Chambre est assurée: les sociaux-démocrates, les Verts et les néo-communistes Die Linke, favorables à la réforme, détiennent une confortable majorité. Une partie des députés CDU – appelés à voter en leur âme et conscience – devraient aussi soutenir le texte.
Approbation générale de la population
L’offensive de Martin Schulz a pris Merkel de court. Le SPD espère ainsi reprendre la main alors que sa campagne électorale est enlisée. Mais Angela Merkel, en cédant sur ce point, pourrait marquer plus de points que son rival, alors que 73% des Allemands (et 64% des électeurs conservateurs) se disent favorables à l’union de deux personnes du même sexe. «Elle évite ainsi un débat passionné qui pourrait profiter aux populistes de l’AfD au cours de la campagne électorale», souligne le quotidien Tagesspiegel. Adopté à la hussarde à la veille de la pause estivale, le texte aurait en outre le temps d’être «digéré» par les plus radicaux des électeurs conservateurs d’ici au vote de fin septembre.
En précipitant les choses, le SPD acte de facto le divorce de la coalition qu’il forme avec les chrétiens-démocrates depuis 2013. Le chef du groupe parlementaire conservateur, Volker Kauder, a dénoncé «une rupture de confiance» de la part du SPD, alors que le contrat de coalition signé voici quatre ans entre les deux partenaires ne prévoyait pas l’adoption du mariage gay. «En théorie, Angela Merkel devrait renvoyer ses ministres sociaux-démocrates», rappelle le Tagesspiegel. Soucieuse d’éviter un tremblement de terre politique à trois mois du vote, la CDU tente de minimiser l’ampleur de la crise. Le climat entre les deux partenaires de coalition s’était déjà considérablement détérioré ces derniers jours, à mesure que la campagne électorale entre dans le vif du sujet en Allemagne.