Ce ne fut pas un combat à suspense, car l’issue était certaine. A l’Assemblée nationale française, dans la nuit de mardi à mercredi, les deux motions de censure défendues par l’opposition (l’une par la gauche, l’autre par la droite) ont été rejetées. Logiquement, c’est au ténor de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, meneur de la bataille d’amendements à laquelle le gouvernement voulait mettre fin, qu’est revenu le soin de prononcer le discours le plus ardent contre Emmanuel Macron et «ses technocrates hallucinés par leur propre vérité». «Nous annulerons tout ce que vous avez fait», a-t-il promis, tout comme la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen.

Au final, l'Assemblée nationale a rejeté la motion de censure de gauche contre le gouvernement, adoptant du même coup en première lecture le projet de réforme des retraites, selon la procédure du 49-3. La motion a recueilli 91 voix, largement en dessous des 289 voix -la majorité absolue des députés- qui auraient été nécessaires pour renverser le gouvernement d'Edouard Philippe, a annoncé au perchoir le président de l'Assemblée Richard Ferrand (LREM). Une motion de la droite avait récolté plus tôt 148 voix.

Quel bilan tirer de cette ultime joute parlementaire sur la réforme des retraites? Eléments de réponse.

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La réforme et le ressentiment

Sur la forme, Emmanuel Macron a tenu son engagement d’en finir avec la quarantaine de régimes spéciaux de retraite (dont bénéficiaient surtout les fonctionnaires ou assimilés) pour passer à un régime universel à points, plus simple à gérer et présenté comme moins coûteux à l’avenir. Sa ténacité est de nouveau démontrée. Sa capacité, malgré les violences dans la rue, à tenir tête aux syndicats les plus jusqu’au-boutistes comme la CGT – cela avait déjà été le cas en 2018 pour la réforme de la SNCF, elle aussi entérinée – est confirmée.

Restent deux questions pour la suite de son quinquennat. La première porte sur le ressentiment accumulé par la frange de la population convaincue de perdre au change avec ce nouveau système de retraite, dans lequel beaucoup voient d’abord (et ce n’est pas faux) la volonté d’ouvrir davantage le marché français aux fonds de pension privés.


Seconde question, très conjoncturelle: comment dissiper le malaise engendré par le recours au 49.3 en pleine crise du coronavirus, alors que l’ampleur de l’épidémie et les risques compliquent toute mobilisation des opposants à la réforme? Une interrogation assurée de s’amplifier si les élections municipales des 15 et 22 mars devaient être reportées pour cause d’épidémie. Alors qu’elles s’annoncent très compliquées pour la majorité.

La facture politique

Normalement, la réforme des retraites ne devrait pas avoir grand-chose à voir avec les élections des maires des 35 000 communes de France. Il s’agit, dans ces communes, de désigner un exécutif local qui, bien souvent, se présente sous forme de listes «apolitiques». Soit. Mais le recours au 49.3 à quelques jours du scrutin accroît la portée nationale de ce vote local. Partout où des candidats macroniens seront en lice, le vote-sanction menacera. Les municipales, organisées tous les six ans (les dernières ont eu lieu en mars 2014) sont, rappelons-le, les élections les plus populaires de France, avec une participation proche des 70%.

Autre réalité: la prééminence de l’exécutif sur le parlement en France, de nouveau illustrée par le recours au 49.3, confirme combien la «disruption» macronienne s’accommode de la pratique du pouvoir sous la Ve République. L’argument selon lequel un sujet de société aussi essentiel que la réforme des retraites aurait mérité une consultation plus large, voire l’organisation d’une convention citoyenne, comme celle qui se tient actuellement sur le climat, mérite d’être entendu. Idem pour l’argument selon lequel une réforme de ce type devrait être soumise à référendum. Emmanuel Macron peine toujours autant à rassembler et à convaincre.

La majorité fracturée

Le pari présidentiel d’Emmanuel Macron en 2017 était double. D’abord en finir avec les partis traditionnels. Puis constituer autour de lui et de son projet une force de rassemblement centriste, puisant dans les modérés de droite et de gauche: La République en marche (LREM). Pari gagné haut la main lors des législatives de juin 2017, qui ont vu sa formation remporter à elle seule la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale (308 sur 577), et son allié centriste Modem en obtenir 40 sièges. D’où le peu de risques que courait le gouvernement en engageant, mardi, sa responsabilité devant l’Assemblée.

Il n’empêche: le parti LREM a enregistré plusieurs départs. Le grand écart de la majorité entre son aile gauche, qui s’estime lésée, et son aile droite, représentée par le premier ministre Edouard Philippe, est de plus en plus net. D’ailleurs, ces fractures se seraient peut-être aggravées si le débat sur les retraites avait poursuivi son cours normal. Les partis traditionnels, toujours bien ancrés dans les municipalités et les territoires, risquent, eux, de sortir renforcés des municipales. L’autorité dont Emmanuel Macron a fait preuve sur la réforme des retraites ne peut pas faire oublier l’impopularité de celle-ci auprès des Français (65% la rejettent toujours) et l’impression d’amateurisme du gouvernement et de la majorité.

Après le coup de bélier du 49.3, l’urgence est désormais pour le chef de l’Etat de mettre en avant ses résultats économiques, comme la baisse du chômage depuis 2017 et l’afflux d’investisseurs internationaux. Sauf qu’une partie du pays ne l’écoute plus…