Pour les manifestants de la Journée de la Liberté, c’est le passage presque obligatoire par la case prison samedi à Minsk. Les autorités biélorusses avaient prévenu qu’elles ne toléreraient plus aucune manifestation, après un mois de protestations sociales sans précédent depuis 10 ans dans tout le pays. Elles ont tenu parole. Des centaines, voire des milliers de manifestants protestant contre l’autoritaire président Alexandre Loukachenko sont brutalement fourrés dans des camions. Les policiers anti-émeute arrêtent tout ce qui ressemble de près ou de loin à un manifestant. Des jeunes aux vieillards, journalistes et passants sont happés par des forces de l’ordre très mobiles, jaillissant de dizaines de camions.

Le départ de la manifestation devait  se tenir traditionnellement devant l’Académie des sciences à 14h locales. Avant même que la foule se forme, les forces de l’ordre se sont employées à décapiter la rébellion. Tous ceux qui portaient des pancartes ou des drapeaux sont saisis et traînés vers des camions vert foncé. Les meneurs sont repérés par des agents (probablement du KGB biélorusse) en voiture, donnant des ordres par talkie-walkie aux policiers anti-émeute (depuis le 3 mars, une centaine d’activistes ont déjà été arrêtés). Plusieurs journalistes sont aussi arrêtés. Au total, une cinquantaine de personnes sont ainsi neutralisées avant même le démarrage de la manifestation. Un drone de la police survole l’avenue de l’indépendance, à peine visible dans un ciel assombri par une pluie de neige fondue.

«Chaque année, nous sommes plus nombreux»

La foule continue néanmoins de s’épaissir, jusqu’à dépasser le millier de personnes. Elle commence à se diriger en plusieurs cortèges vers la place Iakouba Kolasa, très large, mais bientôt entièrement barrée par une rangée de policiers joignant leurs boucliers métalliques. Il devient alors difficile de différencier nettement les manifestants des passants occupés à faire leurs courses dans les nombreux magasins de la place. La clameur des manifestants et l’ambiance électrique figent les minskois, qui observent avec inquiétude l’impressionnant déploiement des OMON (acronyme russe des policiers anti-émeutes). «Ce sont tous des idiots» grommelle une dame âgée en observant les manifestants. «Rien ne changera jamais en mieux ici, ils vont juste ramasser des coups», prédit-elle. «Les gens ont peur parce qu’il y a trop de flics dans les rues aujourd’hui», se désole un manifestant d’une quarantaine d’années. «Mais nous sommes quand même nombreux aujourd’hui. Chaque année, nous sommes plus nombreux et nous le pousserons [Loukachenko] dehors».

Soudain, vers 14h40, le cordon d’OMON qui semblait hésiter à encercler les manifestants, se défait. Les policiers s’engouffrent en courant dans une rue perpendiculaire. Quelques minutes plus tard, un cortège de dizaines de camions, de 4x4, de véhicules blindés armés de canons à eau fonce à travers l’avenue de l’indépendance, en direction du centre ville. Soulagée, la foule se met à hurler «Fascistes!» et «Loukachenko va-t-en!». Puis se dirige elle aussi vers le centre ville en scandant «Vive le Belarus». Elle n’y arrivera jamais. Au bout de quelques minutes, le ballet des camions reprend, et cette fois c’est la totalité des manifestants qui sont visés par les OMON. La foule, qui s’est étirée en se déplaçant, est coupée en plusieurs tronçons par les policiers. Les policiers empoignent les manifestants, se mettent à quatre pour les soulever et les jeter au fond des camionnettes.

«Ne vous fiez pas aux apparences. C’est lui qui a peur de nous, pas l’inverse»

Peu à peu, les dernières grappes de manifestants sont cernées et poussées vers les camions avant d’atteindre la place de la victoire. Un peu plus loin, un nouveau barrage d’OMON barre l’avenue de l’indépendance, au niveau du pont sur la rivière Svislach. Rien ne doit s’approcher du quartier des bâtiments gouvernementaux. Vers 15h40, tout est fini. À proximité, dans un parc bordant la rivière Svislach, quatre jeunes hommes se regroupent derrière un parapet, jetant des coups d’oeil pour vérifier qu'ils ne sont pas repérés. «On a bien failli se faire attraper» rigole l’un d’entre eux. Deux autres passent des coups de fil pour avoir des nouvelles de leurs proches. «Ils sont tous arrêtés», lâche l’un deux. «Ne vous fiez pas aux apparences. C’est lui qui a peur de nous, pas l’inverse».