«Honteuse» et «clairement réalisée sous la contrainte». Au lendemain de la diffusion d’une vidéo de confession de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch dans laquelle ce dernier reconnaît sa culpabilité, la communauté internationale – l’Allemagne, le Royaume-Uni – dénonce une terrible mise en scène, bafouant tout principe démocratique et respect des droits humains.

Cette interview a été réalisée «sous pression», affirme aussi la cheffe de file de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa. «Il ne faut même pas prêter attention à ces mots, car ils sont dits après la torture… La tâche des prisonniers politiques est de survivre», a-t-elle déclaré à la presse polonaise.

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Dans la vidéo diffusée jeudi, l’ancien rédacteur en chef du média d’opposition NEXTA apparaît visiblement mal à l’aise, les poignets rougis – par des menottes, croient deviner certains. Le jeune journaliste reconnaît avoir appelé à des protestations contre le régime et assure respecter le président Alexandre Loukachenko. Il affirme également vouloir corriger ses erreurs et mener une vie tranquille, loin de la politique.

Une vidéo de Roman Protassevitch diffusée quelques jours après son arrestation avait déjà suscité des interrogations. Amnesty International se disait déjà «sérieusement préoccupée par le fait que la santé et la vie de Roman Protassevitch sont en danger». «Les autorités biélorusses croient-elles vraiment qu’elles peuvent tromper le monde en télévisant les «aveux» forcés d’un prisonnier et lui faire déclarer qu’il est bien traité?» demandait Marie Struthers, directrice de l’ONG. De quoi s’interroger sur les pratiques du régime biélorusse. Mais pourquoi recourir à des aveux si manifestement insincères?

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Diviser les cercles dissidents

«Il y a des choses qui sont peu claires mais ce qui nous paraît évident, c’est cette mise en scène qui nous laisse imaginer des choses effrayantes quant au type de contraintes auxquelles Roman Protassevitch a été soumis», relève Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à Paris-Nanterre, spécialiste des sociétés post-soviétiques. L’opposition biélorusse dénonce fréquemment des enregistrements obtenus sous la contrainte, une pratique utilisée de longue date par le régime d’Alexandre Loukachenko.

«Il se peut que le pouvoir biélorusse pense vraiment que cela passera et que l’on croira à la sincérité de ces déclarations. Le régime n’est pas très fin en communication de ce genre, il suffit de se rappeler, à l’automne dernier, la mise en scène avec les deux Américains Nick et Mike», poursuit Anna Colin Lebedev.

En septembre dernier, Alexandre Loukachenko assurait avoir intercepté un échange téléphonique entre deux hommes, Nick et Mike, qui exemptait Moscou de tout soupçon quant à l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny. Une conversation naïve et lunaire qui avait suscité moqueries et parodies des internautes russes et biélorusses.

Cette manière de procéder peut d’autre part servir à envoyer un message clair au peuple et à diviser les cercles dissidents. «Ce que l’on a fait avouer à Roman Protassevitch, la manipulation, les camarades qu’il a dénoncés: tout cela est fait pour indiquer que personne n’est en sécurité, que tout le monde peut passer aux aveux», analyse Anna Colin Lebedev.

L’aveu comme élément majeur de la preuve

«Ces pratiques ont un fondement historique. Il faut s’interroger sur la manière dont ces gens ont été formés. Certains agents des services secrets russes ou biélorusses appartiennent encore à la génération post-soviétique où l’aveu faisait partie de la preuve. On retrouve encore beaucoup cette manière de procéder en Russie», conclut l’enseignante-chercheuse.

Ces méthodes apparaissant d’un autre temps sont monnaie courante dans d’autres pays. C’est notamment le cas en Chine où le système pénal s’appuie encore sur les «aveux» arrachés sous la torture et d’autres mauvais traitements.

Un rapport intitulé «No end in sight – Torture and forced confessions in China», publié par Amnesty International en 2015, révèle qu’en dépit des réformes pénales présentées par le gouvernement chinois comme des avancées pour les droits humains, la pratique consistant à obtenir des aveux par la force persiste. Le rapport fait même état de cas de torture et de mauvais traitements en détention provisoire ou encore de passages à tabac.

Une étude plus récente soumise en 2020 aux Nations unies, menée par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, revenait sur la pratique chinoise consistant à extorquer et à diffuser des aveux forcés avant les procès, rappelant que la méthode actuelle «des confessions télévisées forcées remonte à l’ascension au pouvoir de Xi Jinping».

Interdiction de l’aveu forcé en Iran

La République islamique d’Iran a elle aussi récemment été épinglée par Amnesty International. Début février, l’ONG réclamait «une action concertée de la communauté internationale afin d’obtenir des autorités iraniennes qu’elles renoncent à des exécutions, des condamnations ayant été prononcées à l’issue de procès manifestement iniques sur la base d’aveux extorqués sous la torture», après l’incarcération de huit prisonniers baloutches et arabes ahwazis.

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L’autorité judiciaire du pays a pourtant officiellement interdit en octobre dernier le recours à la torture et aux aveux forcés. Quelques mois auparavant, l’exécution du lutteur Navid Afkari, 27 ans, avait fait polémique, en Iran comme à l’étranger, après la publication d’informations affirmant qu’il avait été condamné sur la base d’aveux extorqués sous la torture.