Barcelone et Madrid à l’heure du choc
Espagne
A la veille du référendum catalan qui crispe l’Espagne tout entière, personne ne sait à quoi ressemblera cette journée électorale inédite. Les tensions entre les deux camps sont attisées par l’imbroglio juridico-légal de ces dernières semaines

Pour qualifier ce que suppose le référendum d’autodétermination interdit de ce dimanche, on parle ici de «choque de trenes» – littéralement le choc entre deux trains, c’est-à-dire entre deux autorités, celles de Madrid et celles de Barcelone. Pour l’heure, personne ne sait de science certaine à quoi ressemblera cette journée électorale inédite: les votants catalans pourront-ils déposer leur bulletin dans une urne? Pourront-ils même s’approcher des quelque 6300 collèges électoraux, essentiellement des établissements scolaires, répartis dans toute la Catalogne? Quel sens a cette consultation, sans même l’ombre d’un recensement officiel?
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Conséquences imprévisibles
En effet, applaudi par le gouvernement central, le parquet espagnol a exigé la mise sous scellés de tous ces lieux et a menacé de «poursuites pénales» toutes les personnes qui désobéiraient à ces ordres. Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, l’a dit et répété: ce référendum, prohibé par les autorités à Madrid, ne doit pas avoir lieu. Le chef de l’exécutif séparatiste, Carles Puigdemont, dit, lui, exactement le contraire: «Il est impensable qu’il n’ait pas lieu.» D’où l’inévitable «choc des deux trains» aux conséquences imprévisibles.
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Un rapport onusien a exhorté le gouvernement espagnol à respecter les «droits fondamentaux»: une référence aux nombreuses perquisitions et aux interpellations de hauts fonctionnaires catalans menées sur ordre du parquet pour stopper net l’organisation du référendum.
Dialogue de sourds
A la veille de ce rendez-vous électoral qui crispe l’Espagne tout entière, on assiste à un imbroglio juridico-légal, auquel la majorité ne comprend rien. La clé du dialogue de sourds entre l’Etat espagnol et les autorités régionales de cette Catalogne rebelle tient à une conception diamétralement opposée des priorités et des légitimités.
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Depuis l’interdiction prononcée à sa demande par le Tribunal constitutionnel début septembre, le gouvernement Rajoy a enjoint hier à ses adversaires sécessionnistes de «reconnaître l’autorité judiciaire» espagnole, et donc de «suspendre immédiatement le référendum». Les intéressés n’ont pas tardé à réagir, par la voix de ministre catalan de l’Intérieur, Joaquim Forn, pour qui «la liberté du peuple catalan de décider de son avenir est supérieure à l’obéissance à la loi espagnole». L’affrontement est donc servi.
Ambiguïté périlleuse
La tension est d’autant plus forte que les Mossos d’Esquadra, le corps policier de Catalogne, laissent planer une périlleuse ambiguïté sur l’attitude qu’ils adopteront ce dimanche. Or, avec leurs effectifs de quelque 16 500 agents, leur rôle est déterminant. Leur major, Josep Lluis Trapero, a certes accepté de «se soumettre aux ordres judiciaires»; mais, dans le même temps, il a affirmé hier ne pas être disposé à bloquer l’accès aux collèges électoraux «s’il y a des risques d’émeutes». En clair, si de nombreux votants insistent pour passer outre les barrages policiers, les Mossos ne s’y opposeront pas.
Renforts policiers venus du reste de l’Espagne
Cette incertitude conduit à une autre interrogation: les renforts policiers venus du reste de l’Espagne seront-ils capables à eux seuls de contenir la participation citoyenne? Une certitude: leur présence massive – on parle d’une dizaine de milliers de gardes civils et de policiers nationaux sur place – suscite en Catalogne un rejet considérable. Notamment les agents qui ont été logés pour l’occasion dans trois bateaux de croisière dans les ports de Barcelone et de Tarragone.
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«Pour nous, ce sont des forces d’occupation qui se comportent comme lors de la dictature franquiste», enrage Jordi Sanchez, porte-parole de l’Assemblée nationale de Catalogne, l’Anc, une très puissante organisation citoyenne indépendantiste.
Une légalité autoritaire face à la désobéissance civile
Dans les deux camps, certaines attitudes sectaires n’aident pas à la concorde. Une vidéo virale – qui horrifie les sécessionnistes, et bien d’autres – circule sur les réseaux sociaux montrant des gardes civils partant de diverses casernes espagnoles avec leurs convois vers la Catalogne, acclamés aux cris de «Allez-y, vous les aurez!». «Ce genre de scène est effrayant, dit la chroniqueuse Pilar Rahola, de tendance séparatiste. On croirait assister au départ d’un corps expéditionnaire dans une colonie rebelle!»
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Dans le camp «espagnoliste», qui inclut une large partie des 7,5 millions de Catalans, on se plaint de l’intolérance exprimée par les milieux séparatistes les plus ultras: insultes à des artistes catalans (comme celles visant l’écrivain Marsé, le chanteur Serrat) pour avoir exprimé des doutes sur la consultation; ou encore, comme le signale l’organisation Reporters sans frontières, «des menaces et des intimidations contre des journalistes espagnols ou étrangers». Pour l’analyste Eugenia Palop, on est en présence d’une légalité autoritaire, d’un côté, face à une désobéissance civile, de l’autre. Explosif.