C’est l’une des rares bonnes nouvelles de ces derniers jours en Ukraine et elle est célébrée comme elle se doit sur les réseaux sociaux. Une vidéo très partagée ce jeudi montre l’interception mardi 15 novembre d’un missile russe dans la région de Kiev. Le même jour, un mystérieux projectile tombait dans un village à des centaines de kilomètres de là, côté polonais, alimentant les craintes d’un élargissement du conflit dans cette guerre des missiles. Après avoir accusé la Russie pour ce tir, le président Volodymyr Zelensky a ajouté jeudi à la confusion en déclarant «ne pas savoir ce qu’il s’est passé».

L’armée russe, elle, a continué ses frappes. Elle a encore recouru à des missiles ainsi que des drones. L’Ukraine affirme avoir réussi à en intercepter certains. Ce mode opératoire est devenu habituel depuis le début de la campagne russe d’attaques systématiques contre des infrastructures critiques de son ennemi lancée le mois dernier. Les bombardements de jeudi interviennent alors que la température a chuté en Ukraine et que les premières neiges tombaient. La situation est d’autant plus préoccupante que les coupures d’électricité à cause de ces bombardements se multiplient.

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Aides allemande et américaine

Kiev cherche la parade. Elle a déjà reçu plusieurs systèmes de défense antimissiles, en particulier de la part des Etats-Unis mais aussi de l’Allemagne. Le 11 octobre dernier, le ministre de la Défense ukrainien annonçait avoir reçu le premier système IRIS-T en provenance d’Allemagne. Montée sur un camion, cette batterie de missiles de dernière génération peut abattre aussi bien des avions que des missiles de croisière ou des drones. Ses projectiles sont autoguidés pour atteindre leur cible. Quelques semaines plus tard, les Etats-Unis livraient à l’Ukraine deux de leurs systèmes Nasams aux performances similaires.

Mercredi, alors que les pays alliés de l’Ukraine étaient réunis à Washington pour coordonner le soutien militaire à Kiev, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Lloyd Austin, vantait le taux de réussite «à 100%» des interceptions grâce aux systèmes fournis par les Etats-Unis. Ces défenses très modernes viennent compléter les systèmes dont disposait déjà l’Ukraine notamment grâce à des missiles S300. Ces engins de fabrication russe datent pour les plus anciens du début des années 1990. Selon des enquêtes préliminaires consultées par les médias américains, c’est sans doute l’un de ces projectiles qui est tombé mardi sur le village polonais. L’Ukraine est en porte-à-faux avec ses alliés qui ont tout fait pour calmer le jeu. Et certains responsables anonymes ne cachent pas leur agacement envers Kiev.

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A Washington, Oleksii Reznikov, le ministre de la Défense ukrainien, a évacué toute idée d’une crise de confiance avec les pays occidentaux. Il se félicitait d’une nouvelle aide militaire de la Suède, comprenant aussi des défenses antiaériennes, le tout pour la modique somme de 78 millions de dollars. Le ministre espérait d’autres «bonnes nouvelles» d’ici la prochaine réunion de coordination en Allemagne. Spécialiste du désarmement au Geneva Centre for Security Policy (GSCP), Marc Finaud ne pense pas que la communication erratique de Volodymyr Zelensky va freiner les livraisons d’armes. «L’épisode polonais plaide plutôt pour renforcer la défense antimissile ukrainienne pour éviter les erreurs», dit-il.

Comme dans un jeu vidéo

Pour l’instant, l’immense territoire ukrainien est très loin d’être protégé contre les frappes russes. Jeudi, les villes d’Odessa et de Dnipro, épargnées ces dernières semaines, ont subi des explosions, faisant une dizaine de blessés dans la seconde ville. «La Russie a changé de stratégie, analyse Marc Finaud. Elle a compris que les bombardements massifs ne parviendraient pas à briser la résistance de l’Ukraine et la forcer à la capitulation. Elle cible désormais les infrastructures critiques. La justification qu’elles contribuent à l’effort de guerre ukrainien est indéfendable selon les Conventions de Genève.»

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Les missiles russes remplacent les avions de chasse devenus rares dans le ciel ukrainien. C’est l’une des grandes surprises de cette guerre. La Russie a été incapable de s’assurer une maîtrise du ciel malgré sa très nette supériorité initiale. Marc Finaud fait une analogie avec l’Iran, dont l’aviation est décimée par les sanctions sur les pièces de rechange. «La Russie, parce qu’elle a perdu beaucoup d’avions, doit s’appuyer sur ses missiles. Les plus sophistiqués sont censés être tirés sur les cibles de la plus haute valeur, selon une analyse coût-bénéfice». Fin octobre, le site d’investigation Bellingcat disait avoir identifié les jeunes hommes et femmes, des spécialistes en informatique, parfois avec une passion pour le jeu vidéo, travaillant à choisir les cibles en Ukraine depuis Moscou et Saint-Pétersbourg.

Même si la panoplie de missiles russes est immense, et comprend des modèles moins sophistiqués, l’Ukraine parie sur un épuisement des stocks de pointe. Leur remplacement est rendu difficile par les sanctions occidentales sur certains composants clés. Mi-octobre, l’armée ukrainienne estimait que la Russie n’avait plus que 600 missiles de haute précision, comme les Kalibr tirés ces derniers jours depuis des navires en mer Noire ou Kh-101 lancés depuis des avions. Il resterait moins d’un tiers des stocks constitués avant le 24 février. En attendant, le chassé-croisé se poursuit dans le ciel ukrainien.