Bombardement au mémorial de Babi Yar: «Mes ancêtres ont été fusillés et enterrés dans cette fosse»
Américaine d’origine ukrainienne, Lana Litvinchuk évoque le site du mémorial de l’Holocauste de Babi Yar, touché mardi par des frappes russes à Kiev. Un lieu de mémoire

Depuis l’Arkansas, où elle fait de la permaculture et élève notamment des canards, des oies et des lapins, Svetlana Litvinchuk a ces jours plus que jamais le cœur en Ukraine. Mardi, les bombardements russes à Kiev, près du site de Babi Yar, l’ont particulièrement secouée.
«En 1941, mon arrière-arrière-grand-mère maternelle, mon arrière-arrière-grand-père et quatre de leurs six enfants ont été emmenés dans un ravin en bordure de Kiev, avec plus de 33 000 autres Juifs ukrainiens. Ils ont été déshabillés, fusillés et enterrés dans une fosse commune. Ma jeune arrière-grand-mère, veuve et portant un bébé dans ses bras (ma grand-mère), s’est enfuie avec sa sœur en Ouzbékistan où elles ont travaillé comme couturières en attendant la fin de la guerre», écrit-elle sur son profil Facebook.
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«Ce ravin, appelé Babi Yar, est le lieu de sépulture pour près de 34 000 personnes – dont 10% d’enfants – qui ont perdu la vie pendant ces vingt-quatre heures de septembre 1941, tués par les nazis. C’est là que mes ancêtres juifs sont enterrés. Et aujourd’hui, il a été bombardé. C’est impensable pour moi. Je pleure pour tous les ancêtres enterrés là, à qui la paix a été enlevée une seconde fois, même dans la mort.»
Le président américain, Joe Biden, et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, se sont une nouvelle fois appelés mardi et ont évoqué l’«intensification d’attaques contre des lieux utilisés par des civils en Ukraine, y compris les bombardements à proximité du mémorial de l’Holocauste de Babi Yar», souligne un communiqué de la Maison-Blanche. Peu après les frappes, Andriï Iermak, le chef de l’administration présidentielle, n’a pu cacher sa rage sur Twitter: «Ces barbares sont en train de massacrer les victimes de la Shoah pour la deuxième fois!» Et Volodymyr Zelensky, lui-même juif, y a également fait allusion: «A quoi bon dire «plus jamais ça» pendant 80 ans, si le monde reste silencieux lorsqu’une bombe tombe sur le même site de Babi Yar?»
De l’essence sur les mains
Svetlana Litvinchuk est arrivée aux Etats-Unis en 1991, après l’éclatement de l’URSS. Elle avait 6 ans. Américaine – ses parents ont dû abandonner la nationalité en arrivant aux Etats-Unis –, elle a plusieurs membres de sa famille qui vivent à Kiev, avec lesquels elle est en contact.
Au premier jour de l’invasion, elle a pu parler à un de ses oncles. Il espérait fuir avec femme et enfants vers l’ouest. Mais le trafic, les pénuries de carburant et le manque de ressources ont freiné les plans. «Toute ma famille est restée à Kiev. Certains se sont réfugiés dans des stations de métro ou des abris souterrains publics parce que les bombardements dans leur quartier étaient particulièrement violents la nuit», raconte-t-elle. «L’autre jour, j’étais au téléphone avec un de mes oncles, qui m’a dit qu’il devait me rappeler parce que ses mains étaient couvertes d’essence: il venait de fabriquer des cocktails Molotov en cas de besoin.»
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Depuis son petit bout d’Arkansas, elle essaie d’aider sa famille comme elle peut. Comme chercher des contacts en Pologne de gens qui aident les réfugiés, au cas où sa famille parviendrait à quitter Kiev. Ou tenter d’organiser des récoltes de matériel médical, elle qui travaillait auparavant comme soignante sur des tournages de films.
Elle tient à rajouter une chose à propos de Babi Yar: «A ce que j’ai compris, les frappes étaient probablement accidentelles, des dommages collatéraux.» Avant d’ajouter: «Mais ces termes n’apportent aucun réconfort lorsque des enfants, des monuments et des personnes innocentes deviennent des victimes d’une guerre injustifiée.» Selon les autorités ukrainiennes, les frappes visaient la tour de télévision à Kiev, à proximité du lieu de mémoire, et ont fait au moins cinq morts.