«Les nôtres nous ont sacrifiés, en tout cas moi»
Hier, l’immense majorité penchait pour la seconde option. Parmi les messages interceptés de Puigdemont à l’ancien ministre régional de la Santé Toni Comín - des indiscrétions qu’exhibent les médias espagnols avec une joyeuse impudeur - figure cette phrase accablante: «Les nôtres nous ont sacrifiés, en tout cas moi.» Dans ce que l’on appelle «le procés» - le processus vers l’indépendance initié en 2012 -, Carles Puigdemont serait donc désormais un cadavre politique, après avoir été son incarnation.
En privé, de façon unanime, plus personne ne croit en l’étoile de l’exilé volontaire de Bruxelles. Celui-ci, qui a reconnu la teneur des révélations, a eu beau contrattaquer («Je suis le président et avec fermeté, je ne me rendrai pas»), sa figure ne fait plus l’unanimité dans son camp. Hier, le jeune président indépendantiste du parlement autonome à Barcelone, le séparatiste Roger Torrent, a réclamé «le maximum de générosité afin que le procés puisse avancer». Une allusion à peine feinte à Carles Puigdemont, sur le mode: si tu renonces publiquement à être notre candidat, cela nous facilitera grandement les choses.
Le problème Puigdemont
Tout comme Oriol Junqueras, son ancien bras-droit au sein du gouvernement de Catalogne (actuellement en prison préventive, près de Madrid), le chef de file séparatiste est accusé par la justice d’avoir violé la constitution, et est passible d’une réclusion allant jusqu’à 30 ans. Dès l’instant où Puigdemont foulera le sol espagnol, il sera arrêté et placé en détention préventive. Le Tribunal constitutionnel a écarté la possibilité que l’intéressé soit investi «à distance» à la tête de la Catalogne.
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«Pour le camp sécessionniste, Puigdemont est devenu un problème, souligne le chroniqueur Fernando Onega. Il est source de divisions parmi les siens.» Or, pour les vainqueurs des législatives du 21 décembre, le temps presse. D’ici le 12 février, un des leurs doit être investi chef de l’exécutif régional. Si tel n’était pas le cas, il faudrait convoquer de nouvelles élections législatives. Aux yeux des indépendantistes, cette issue présente un double désavantage: primo, le nouveau scrutin pourrait donner la victoire au camp «espagnoliste» dont le fer de lance, le parti Ciudadanos, a obtenu la meilleure moisson en suffrages et en sièges le 21 décembre; segundo, elle retarde le reprise en main par les séparatistes d’une région qui, sous leur contrôle depuis la fin du franquisme, est placée depuis deux mois sous la tutelle de Madrid - une situation d’exception décidée par le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, en novembre, et qui suppose la totale mainmise du pouvoir central sur la Catalogne.
Des candidats épargnés par la justice
Le crépuscule politique de Puigdemont accroit les dissensions entre les tenants d’un divorce avec l’Espagne. Les deux principaux partis de la coalition sécessionniste, Esquerra et Junts Pel sí, bataillent pour imposer leurs candidats de prédilection et portent leur choix sur des personnalités qui n’ont pas maille à partir avec la justice, les magistrats espagnols ayant dans leur viseur tous ceux qui ont participé en première ligne au référendum interdit du 1er octobre et tenté d’obtenir une Catalogne indépendante par la voie unilatérale. «Aujourd’hui, l’indépendantisme se rend compte qu’il n’a pas les moyens de s’imposer dans son bras de fer avec l’Etat espagnol, estime le politologue Josep Ramoneda. Pour autant, Madrid ne devrait pas se réjouir trop facilement: la Catalogne ne peut briser l’Espagne mais elle peut la déstabiliser. Au détriment de tous, y compris de l’Espagne elle-même».