Eugen Brühwiler est ingénieur structure, professeur de maintenance et sécurité des ouvrages d’art à l’EPFL. Fatigue des matériaux, usure des structures, réparation et consolidation: il intervient régulièrement comme expert sur les infrastructures autoroutières en Suisse.

Lire aussi: Un cocktail mortel derrière la catastrophe de Gênes

Le Temps: Peut-on déjà se faire une idée des causes de l’accident?

Eugen Brühwiler: Il va y avoir plusieurs expertises, sur plusieurs parties du viaduc, qui vont durer des mois. Aujourd’hui on ne peut que spéculer, mais il y a probablement eu une accumulation de causes. La durabilité du viaduc du Polcevera a toujours suscité beaucoup de questions, il y a toujours eu beaucoup d’interventions de protection et de réhabilitation, et en ce moment même, il y avait des travaux de renforcement de la structure visant à pallier la corrosion de l’armature du béton, et cela faisait une charge en plus sur la structure.

Ensuite, le pont est resté ouvert pendant ces travaux, le trafic a continué car il s’agit d’une voie de circulation très importante, mais les ouvrages d’art sont comme une personne, quand on leur ouvre le ventre c’est délicat… Enfin il y a eu un orage avec probablement du vent fort, et on sait que les grandes constructions sont plus sollicitées par le vent – c’était le truc en trop.

Lire également: Pont de Gênes: un ouvrage vétuste critiqué depuis des années

Vous évoquez des critiques anciennes contre le pont, cela signifie-t-il que les autres ouvrages de Riccardo Morandi devraient d’urgence être expertisés?

Le nom de Morandi est très connu, et son viaduc de Gênes était extraordinaire. Ses ouvrages doivent être examinés pour maintenance, mais pas plus que les autres. Les opérations de surveillance des «détails constructifs» doivent être régulières! D’après les images que j’ai vues, une piste pourrait être l’état des joints de dilatation, des ouvertures dans les dalles, qui doivent s’étirer en cas de fortes températures et se rétracter quand il fait plus froid.

Ils sont très sensibles au sel de déverglaçage, dont on ne savait pas dans les années 1960 qu’il pénétrait le béton et allait accélérer la corrosion en profondeur de l’acier des joints de dilatation. Dans la première phase on ne voit rien, le sel pénètre avec l’eau dans le béton, et quand ensuite il y a des éclats, cela signifie que le processus est déjà bien entamé. Si les joints lâchent, le pont descend. Ce sont ces joints qu’on a renforcés ou remplacés sur le viaduc de Chillon en 2014 et 2015.

La Suisse dispose de nombreux viaducs construits à la même période que le pont de Gênes (1963-1967), faut-il s’inquiéter de leur sécurité?

Le béton armé précontraint constitue des structures très durables, très solides, dont on a besoin, on n’aurait pas les moyens de tout changer. La surveillance des détails constructifs sur les ponts suisses se fait tous les cinq ans, et la maintenance est très régulière. Les décideurs suisses sont très conscients que cela revient moins cher d’entretenir nos structures régulièrement, ils sont relativement raisonnables pour accorder les budgets nécessaires, et nous intervenons au moment opportun, la planification est solide.

A Gênes il y a eu un projet de remplacement du viaduc mais cela a traîné, les décisions n’ont pas été prises, et pendant ce temps les dommages continuaient, comme un cancer. La maintenance n’est pas qu’une question de budget, c’est aussi une question d’organisation.

Lire aussi: Au milieu des décombres à Gênes, la recherche effrénée de survivants


Consulter aussi  notre galerie d’images