Le nouveau roi britannique n’entame sa première visite officielle à l’étranger que ce mercredi en Allemagne. Quel symbole: pour ses premiers pas de représentation hors du Royaume-Uni, le souverain n’a pas choisi un pays du Commonwealth, ni l’une des 14 nations dont il est chef d’Etat outre le Royaume-Uni, mais l’Europe. Presque sept ans après le vote en faveur du Brexit, alors que les relations avec le «continent» demeurent difficiles, la visite officielle ne doit rien au hasard. «Il est notre nouveau ministre de l’Europe», ose même Denis MacShane, lui-même ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes sous Tony Blair.
Faste et écologie
Six mois après être devenu roi et six semaines avant son couronnement, Charles III commence à imposer sa marque, avec un message politique discret mais évident. Il effectuera ses premiers pas à la porte de Brandebourg, monument symbole de la division de Berlin pendant la guerre froide, avant de tenir, jeudi, un grand discours devant le Bundestag, le parlement allemand, puis de rendre hommage vendredi aux victimes de l’Holocauste lors d’une visite au mémorial Kindertransport de Hambourg. Entre ces points d’orgue protocolaires, le roi consacrera une bonne partie de son temps à l’environnement, sa passion: une réception consacrée à l’énergie renouvelable, une visite dans une ferme bio, un voyage en bateau fonctionnant à l’énergie verte… La visite en France était prévue selon le même schéma, entre le faste – cérémonie à l’Arc de triomphe, discours devant le Sénat, banquet au château de Versailles – et l’écologie – voyage jusqu’à Bordeaux en train ou visite d’une vigne bio.
Toujours une main dans la poche de son veston pour la contenance, pas nécessairement très à l’aise dans ses relations humaines, Charles III n’en est pas moins un homme de convictions. Sa propre ferme est dédiée à la culture bio depuis des décennies, bien avant que cela ne devienne à la mode. Pendant des années, il a inondé les ministres des gouvernements britanniques successifs de lettres surnommées «black spider memos» («pense-bêtes araignée noire») à cause de sa petite écriture à l’encre noire. En 2015, après des années de bataille judiciaire, le Guardian avait réussi à en publier 27 écrites sur deux ans – 2004 et 2005 – à sept ministres: contre la pêche illégale de certains poissons, pour les herbes médicinales, pour la préservation d’anciens bâtiments abritant un marché… Ces interventions tous azimuts lui ont valu de régulières critiques estimant que la Couronne ne doit prendre parti sous aucun prétexte. Sa mère, Elisabeth II, a d’ailleurs reçu de nombreuses louanges sur sa capacité à ne jamais exprimer une opinion qui divise.
Offensive de charme à Windsor
Ses premiers mois sur le trône semblent indiquer que Charles III n’a guère l’intention de changer, même maintenant qu’il est roi. Les premières critiques ont fusé quand il a reçu la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, fin février au château de Windsor. Celle-ci était venue au Royaume-Uni pour signer un accord post-Brexit sur l’Irlande du Nord avec Rishi Sunak, le premier ministre britannique. Non seulement Charles III a-t-il accepté que le texte soit surnommé «accord-cadre de Windsor», mais il a reçu cette «leader mondiale» (les mots du palais) dans la foulée. «C’est une décision que le roi va regretter», rageait alors Sammy Wilson, membre du parti nord-irlandais Democratic Unioniste Party (DUP), qui s’oppose à cet accord. Les unionistes d’Irlande du Nord, qui souhaitent rester dans le Royaume-Uni, vénèrent pourtant la monarchie, symbole à leurs yeux de l’unité du pays. «Si [Charles III] continue ainsi et politise la monarchie, il n’aura jamais le statut dont sa mère jouissait, continue Sammy Wilson. Il va mettre la monarchie en danger parce que les gens vont le considérer comme un partisan et non comme une institution nationale.»
Pas de temps à perdre
Bien entendu, chacun des gestes officiels du nouveau roi est soumis au feu vert de Downing Street. Or, le premier ministre Rishi Sunak cherche à restaurer de bonnes relations avec l’Union européenne; la rencontre avec Ursula von der Leyen de même que la visite officielle en Europe font partie de cette offensive de charme. «Je ne comprends pas du tout l’accusation [de politisation de la monarchie], soulignait James Cleverly, le ministre britannique des Affaires étrangères. Le président ukrainien Zelensky est venu au Royaume-Uni et, en tant qu’invité important, il a eu une audience avec le roi. […] Ursula von der Leyen est une représentante internationale très importante et il n’est pas inhabituel pour nous […] d’organiser une rencontre avec Sa Majesté.» Reste que Charles III se prête bien volontiers au jeu, lui qui parle français et allemand couramment et a toujours attaché une forte importance aux relations avec l’Europe.
Denis MacShane y voit le signe d’un roi pressé. «Il a 74 ans, et s’il est possible qu’il soit monarque pendant trente ans, il sait qu’il n’a qu’une décennie vraiment active pendant laquelle il peut imposer sa marque.» Contrairement à sa mère instinctivement prudente, Charles III n’aura pas soixante-dix ans pour construire son règne.