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«Où est le problème? Nazi, ça veut dire "national-socialiste"»
Ramona, 60 ans, quatre enfants et un emploi de bureau dans une petite ville des environs, a participé à toutes les manifestations de solidarité avec la famille de Daniel depuis une semaine. Les scènes de chasse à l’homme qui ont choqué le monde entier, lorsque des néonazis ont poursuivi lundi soir des étrangers dans les rues de la ville sans que les forces de l’ordre, en sous-effectif, puissent intervenir? Les saluts nazis, face aux caméras de télévision et là encore sans qu’intervienne la police? «C’est ça le pire, explique cette mère de famille avenante: que l’on traite de nazis des gens, comme moi, qui veulent simplement manifester leur colère contre les politiciens, qui ne font rien, et contre ces étrangers arrogants, qui passent leur temps à importuner nos filles, à voler ou à vendre des drogues. C’est insupportable. Et puis, où est le problème? Nazi, ça veut dire «national-socialiste». Je suis «nationale», puisque j’aime mon pays, et je suis socialiste… En soi, il n’y a pas de problème!»
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Ivo, 40 ans, ingénieur, est membre de l’AfD depuis un an et demi. «Exactement depuis le moment où j’ai compris que les autres pays européens n’accepteraient pas de répartir le poids des réfugiés avec nous», précise-t-il. Pull rouge, cheveux en bataille et fin collier de barbe, il détonne dans le défilé silencieux de samedi, auquel l’AfD a imposé un strict code de conduite, demandant aux hommes de porter costume et cravate noirs de deuil, et aux femmes d’arborer une rose blanche – le symbole d’un groupe d’étudiants munichois résistant au Troisième Reich et assassinés par les nazis. Avant les réfugiés, Ivo votait pour les Verts. Roni, artiste de 57 ans, barbe grise tressée, pantalon et blouson de cuir noirs, votait pour le SPD. Thomas Heinz, la soixantaine, costume sombre et cravate noir, homme d’affaires «dans les assurances», donnait sa voix aux Libéraux du FDP. Lors des dernières législatives, 27% des habitants de Chemnitz ont donné comme eux leurs voix à l’AfD.
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«Ici, la confiance dans l’Etat n’existe pas.»
«Ce que vous voyez ici n’est pas Chemnitz», tranchent pourtant de concert Franck Heinrich et Peter Patt. Les deux hommes, tous deux membres de la CDU d’Angela Merkel, se sont postés le long du défilé avec un écriteau bariolé assurant «Chemnitz n’est ni brune ni grise», allusion à la peste brune du IIIe Reich. «L’extrême droite est active dans toute l’Europe, souligne Peter Patt, élu du parlement régional de Saxe. La différence est qu’à l’ouest, la croûte au-dessus de la lave est beaucoup plus épaisse. Ici, la confiance dans l’Etat n’existe pas. Mais d’où pourrait-elle venir? Pas des trente ans de communisme ni du nazisme qui l’a précédé. Et depuis la Réunification, les Allemands de l’Est ont subi de durs coups du destin, tant sur le plan personnel qu’économique. Or, quand la croûte est plus fine, la lave explose plus facilement…»
«N’oubliez pas que dans l’est du pays, les gens, du fait du communisme, n’ont pas accumulé de patrimoine ou d’épargne à travers des héritages comme c’est le cas dans l’ouest, ajoute Frank Heinrich, député au Bundestag. Ils savent qu’ils ne pourront pas compter sur des réserves en cas de coup dur. L’arrivée massive des étrangers les a déstabilisés.» «La Saxe, résume le théologien Frank Richter au Süddeutsche Zeitung, fonctionne plus comme la Pologne ou la Hongrie que comme l’ouest du pays.»