France
Imposer l’usage du français sur les chantiers est le nouveau combat d’une partie de la droite, emmenée par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez

Ils sont une cinquantaine, plantés devant une grande surface du bâtiment, au pied du périphérique parisien. Beaucoup de jeunes Africains et Ukrainiens traînent sur ce quai d’Ivry connu par les entrepreneurs comme «le quai des bras». Parlent-ils français? Un peu. Mais dans l’ensemble, tous s’en passent lorsqu’ils sont sur les chantiers. «Il y a toujours un contremaître qui parle notre langue, lâche Oleg, un Ukrainien originaire de Donetsk, la région en guerre, à la frontière russe. De toute façon, parler français ne sert pas à grand-chose quand on transporte du ciment, ou quand on démolit des murs.»
Ces employés payés en liquide, «au noir», sont ceux que la droite française veut voir disparaître des chantiers. Pourquoi? Parce qu’ils sont, selon ces élus, le plus souvent recrutés par des employeurs peu scrupuleux, eux-mêmes venus de l’étranger et que sans communication, pas de sécurité possible. C’est du moins la version que défend Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis décembre 2015. «J’assume de dire que tout travailleur sur un chantier en France doit parler français», répète depuis un mois ce lieutenant de Nicolas Sarkozy, après avoir fait voter le 9 février une réglementation conditionnant l’attribution des marchés publics à l’utilisation de la langue de Molière par les petites et moyennes entreprises du secteur du bâtiment. Une initiative suivie de décisions similaires en Normandie et dans les Hauts de France (ex-Nord-Pas de Calais-Picardie).
Empêcher le travail clandestin de proliférer
Cette mesure défendue par la droite en pleine présidentielle a depuis hérité d’un nom: la «clause Molière». Et François Fillon, candidat de la droite à l’Elysée, réfléchit à en faire une proposition nationale. Objectif: lutter contre le travail détaché en provenance des pays à bas salaires de l’Union européenne, et empêcher son corollaire: la prolifération du travail clandestin.
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Un pas a été franchi jeudi en ce sens par la région Ile-de-France. La première région de l’Hexagone, dirigée par l’ancienne ministre de droite Valérie Pécresse, a voté à son tour une législation conditionnant l’attribution des marchés publics à l’utilisation de la langue de Molière par les TPE/PME. La création de brigades de contrôle composées d’agents territoriaux habilités à prendre des sanctions est à l’étude dans toutes ces régions.
«Une langue, ça s’apprend»
Selon la Commission française de lutte contre le travail illégal, 286 000 travailleurs détachés – donc légaux, protégés par la directive européenne de 1996 (révisée en 2016 dans un sens plus restrictif) permettant à une entreprise d’envoyer ses employés dans un autre Etat membre – œuvraient officiellement en France en 2015. Plus de 50% seraient dans le bâtiment. Combien parlent français? «Personne ne peut chiffrer. Et rien n’est figé. Une langue, ça s’apprend», ont rétorqué hier les opposants à la nouvelle réglementation en Ile-de-France. Mais la droite, en pleine bataille identitaire avec le Front national, tient à son symbole. Laurent Wauquiez, prié de retirer la mesure par le préfet pour cause de «discrimination», a juré de ne pas le faire. Les tribunaux seront donc saisis. Le débat juridique s’annonce socialement explosif. Molière, en son temps, aurait sûrement écrit sur le sujet.