Balkans
Pour un septième samedi consécutif, des milliers d’opposants au régime autoritaire du président Vucic ont défilé dans les rues de Belgrade et, pour la première fois, en province également

La Serbie s’offre un nouveau printemps en hiver. Comme en 1996-1997, quand des dizaines de milliers de citoyens manifestaient contre le régime de Slobodan Milosevic, des cortèges arpentent les rues de Belgrade depuis le 8 décembre et, ce week-end, pour «l’acte VII» du mouvement, la contestation s’est étendue à la province. Samedi, outre Belgrade, des cortèges étaient organisés dans une vingtaine de villes. Partout, ils s’ébranlent derrière la banderole: #1od5milijona, «Un sur cinq millions». Le slogan est une réponse au président Aleksandar Vucic, qui a lancé, au début de la mobilisation, qu’il ne changerait pas de politique «même si cinq millions de personnes descendaient dans la rue».
Samedi, la longue colonne qui a battu le pavé de la capitale a marqué l’arrêt devant le siège de la télévision publique RTS, symbole du contrôle hégémonique du pouvoir sur les médias. Parmi les quelques revendications qui fédèrent le mouvement figure celle d’obtenir «cinq minutes d’antenne au second journal de la RTS»… Les manifestants exigent aussi la vérité sur le meurtre de l’opposant serbe du Kosovo Oliver Ivanovic, abattu il y a un an, le 16 janvier 2018, ou encore la démission du ministre de l’Intérieur. «Ce sont nos revendications communes, mais dans chaque ville s’ajoutent des raisons supplémentaires. Si vous interrogez les manifestants, chacun vous donnera ses propres motivations qui le poussent à descendre dans la rue», explique Aleksandar Stanojkovic, un membre du comité d’organisation informel qui tente de structurer le mouvement.
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Vague de départs
«Nous voulons vivre dans un pays normal. Aujourd’hui, tout le monde s’exile à l’étranger, car il est impossible de trouver un emploi ou de lancer une entreprise sans avoir la carte du Parti progressiste serbe», explique Mihailo, un étudiant de Belgrade, gilet jaune du service d’ordre sur les épaules. Comme tous les pays des Balkans, la Serbie est frappée par une vague continue de départs, qui s’accélère ces dernières années, malgré les succès économiques proclamés par le gouvernement de l’ultralibérale première ministre Ana Brnabic, chargée de donner une image «moderne» du pays.
«Cela fait trente ans que les citoyens de Serbie sont obligés de descendre dans la rue pour exiger la liberté et la justice. Ce mouvement est notre dernière chance, sinon ce pays disparaîtra. C’est pour nous que nous manifestons, pas pour un leader, pas pour un parti, pas pour la gauche ni pour la droite», lance l’acteur Branislav Trifunovic, qui harangue la foule au départ de chaque cortège belgradois. Samedi, il a lancé une sévère mise en garde aux dirigeants des partis, divisés, de l’actuelle opposition parlementaire, qui étaient au pouvoir dans les années 2000: «Vous êtes les bienvenus si vous voulez manifester comme citoyens, mais devez entendre ce que nous vous disons: nous ne voulons plus élire des chefs qui se croient tout permis une fois arrivés au pouvoir, qui mettent l’Etat en coupe réglée.»
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S’ils ne manquent aucune manifestation, ces dirigeants préfèrent rester discrets. «Les gens rejettent les partis qui ont été au pouvoir, tous plombés par des affaires de corruption», reconnaît Borislav Stevanovic, le chef du petit parti de la Gauche de Serbie, dont l’agression à coups de barres de fer, le 23 novembre, a servi de déclencheur au mouvement.
La peur recule
«Ce mouvement fait reculer la peur. En Serbie, les gens craignent de perdre leur emploi s’ils critiquent le régime… C’est cette chape de plomb qui est en train de se fissurer», estime la journaliste Jovana Gligorijevic, de l’hebdomadaire Vreme, un des derniers titres d’opposition à survivre. Hormis Belgrade, c’est dans les villes du sud du pays que le mouvement a, pour le moment, pris le plus d’ampleur. «Le régime d’Aleksandar Vucic s’appuie sur des réseaux criminels présents dans la région serbe du nord du Kosovo, mais ces réseaux se lancent désormais à l’assaut de tout le pays, en partant du sud. Là-bas, les gens sentent que le dernier moment est venu pour tenter d’inverser le cours des choses», poursuit Jovana Gligorijevic.
Aleksandar Vucic reste pourtant «le maître des horloges». Il pourrait être tenté de convoquer des élections au printemps, espérant un nouveau plébiscite, grâce au vote de la «Serbie profonde», de ceux qui sont «obligés» de soutenir son parti. «Nous avons posé nos conditions: si les élections ne sont pas libres et honnêtes, nous les boycotterons», assure Borislav Stefanovic. L’épreuve de force ne fait sûrement que commencer.