Arnaud Benedetti: Parler aux téléspectateurs de Jean-Pierre Pernaut n’est qu’une facette de la communication présidentielle. Il faut bien comprendre qu’Emmanuel Macron est, de loin, le président qui maîtrise le mieux sa stratégie d’intervention médiatique. Contrairement à François Hollande, qui laissait les médias faire l’opinion, ou à Nicolas Sarkozy, qui saturait l’espace médiatique, l’actuel chef de l’Etat a une vision très managériale.
Il fonctionne comme un chef d’entreprise. Il veut tout contrôler. Il joue de la rareté de sa parole, mais il suit de très près les réseaux sociaux, sur lesquels il intervient très fréquemment. Ils sont pour lui un second poumon. Il repère ainsi les tendances. Il voit poindre les débats. Il s’en sert comme de lanceurs d’alerte.
Est-ce une bonne stratégie?
Sa force et son habileté, jusque-là, ont consisté à alterner. Lorsqu’il sent qu’une crise s’aggrave et qu’il entre dans une zone de turbulences politiques, Emmanuel Macron revient vers les médias traditionnels comme la presse ou la télévision, parce qu’ils sont propices à la pédagogie et qu’ils lui permettent d’affirmer sa stature présidentielle.
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En temps normal, il mise en revanche sur les réseaux sociaux pour rester en lien avec ses électeurs, avec ses «marcheurs», et surtout avec la jeunesse. Avec toutefois une limite: comme il est très facile de déraper sur internet, l’Elysée se met en scène de façon très cadrée, très «people». L’idée, c’est de communiquer en permanence sans être média-dépendant.
On le compare toujours à Barack Obama. Vous aussi?
Macron est, de très loin, le président français qui recourt le plus aux codes anglo-saxons de la communication. Il met en scène sa vie publique, mais aussi des séquences de sa vie privée. Il accorde beaucoup d’importance à l’esthétique des photos officielles. Il est toujours dans une logique de séduction, à laquelle son jeune âge et son épouse contribuent. Son problème est que la société française n’est pas la société américaine. Comment gérer, dans un pays aussi passionné d’égalité, le fait d’amputer l’impôt sur la fortune et de désigner les cheminots comme des privilégiés? Le piège, dans cette période sociale agitée, découle moins de son image que de sa politique.
Arnaud Benedetti, Le coup de com' permanent, Editions du Cerf, 126 p.
Trois observateurs suisses de la politique française jugent la com Macron
Marc Comina, conseiller en communication
Le consultant Marc Comina note que la communication d’Emmanuel Macron a ceci d’intéressant qu’elle est en même temps disruptive et classique. «En s’adressant directement à la population sur Facebook, face caméra, il a court-circuité les médias traditionnels et bousculé les petites habitudes des journalistes politiques sans pour autant se mettre à dos toute la profession à la manière de Donald Trump», relève-t-il.
Le conseiller en communication apprécie également la façon dont Emmanuel Macron a su incarner la posture présidentielle. «Il réussit brillamment à moduler la complexité de son discours selon le public auquel il s’adresse, sans tomber dans le populisme lorsqu’il s’adresse aux Françaises et aux Français en général. De cette manière, il redonne à la fonction présidentielle la place particulière qu’elle doit occuper au-dessus du lot, mais accessible et humaine en même temps. En cela, il fait penser à Obama et nous permet d’oublier Hollande.»
Béatrice Métraux, ministre vaudoise binationale franco-suisse
«Il cherche à faire une rupture avec l’hyper-communication de son prédécesseur et de Nicolas Sarkozy avant lui. C’est cette communication qui se veut jupitérienne, une conception du rôle du président comme garant des institutions. En cela, c’est également une véritable antithèse du déferlement que l’on peut voir aux Etats-Unis, où le président communique via Twitter, sans retenue aucune. Cela étant, plus l’opposition va se renforcer sur ses propositions politiques, plus il risque de vouloir y répondre, chercher à communiquer et à se mettre en scène. Je ne suis pas certaine qu’il réussisse à maintenir cette distance actuelle et ce contrôle.»
La magistrate remarque aussi que le mouvement En marche!, construit sur une logique citoyenne et participative, est aujourd’hui supplanté par un président qui donne l’impression de naviguer à vue. «Son style de communication, très en contrôle et centré sur lui, est d’une certaine manière antinomique de l’effervescence un peu chaotique d’un mouvement pluriel. Il risque une fracture d’avec sa population civile.»
Benoît Gaillard, collaborateur de la conseillère d’Etat Nuria Gorrite
«La campagne du candidat de La République en marche reposait sur un équilibre fait de discours verticaux et de moments de contacts directs. Il a ainsi eu des coups de com assez formidables comme le parking de l’usine Whirlpool ou sa punchline «la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler». Cette dualité s’est terminée le soir de la mise en scène de son élection devant la pyramide du Louvre, où il n’a plus conservé que sa «verticalité». S’en sont suivis des épisodes dérangeants où il démontrait aux journalistes que la pensée complexe du président ne leur était pas accessible, notamment autour du terme «jupitérien» qu’il avait employé.
Pendant que ses proches assuraient sa communication, lui se gardait le discours du Parthénon à Athènes, organisait les interviews à l’Elysée… Aujourd’hui, les choses ont changé. Le monarque est descendu de son piédestal, celui dont la parole était précieuse se rend cette semaine à la télévision où il se fera interviewer par Bourdin et Plenel, qui ne lui feront pas de cadeaux. C’est rassurant et cela m’apparaît comme un ravisement.»