Les présidents des épiscopats du monde entier n’ont plus d’alibi. Ils quittent Rome après une rencontre inédite de quatre jours sur la «protection des mineurs dans l’Eglise» en sachant exactement comment affronter les scandales de pédophilie en cours ou futurs. Pour bien s’en assurer, le Vatican a promis la publication prochaine d’un vade-mecum «pour les aider à comprendre clairement leurs devoirs». La violence des témoignages de victimes a obligé toute la hiérarchie de l’Eglise à prendre conscience de la gravité du problème.

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Le Saint-Siège est déterminé à montrer l’exemple. Un motu proprio, un document pontifical, visant à «renforcer la prévention et le contraste contre les abus au sein de la Curie romaine [le gouvernement du pape] et dans l’Etat de la Cité du Vatican» est attendu «bientôt», a affirmé dimanche le père Federico Lombardi, le modérateur du sommet international. L’ancien porte-parole de Benoît XVI puis brièvement de François a aussi promis une «nouvelle loi et des lignes directrices sur le même sujet», mais sans apporter de précisions. Et, dès ce lundi, les organisateurs de la réunion doivent rencontrer les dirigeants du Vatican.

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Au-delà des paroles

Lors de son discours de conclusion dimanche matin, le pape a appelé à «éradiquer ces crimes abominables de la face de la Terre». Il n’a rien annoncé de tangible, laissant la tâche au modérateur quelques heures plus tard. Le pontife argentin avait pourtant demandé aux dirigeants de l’Eglise des «mesures concrètes et efficaces» et non seulement «de simples et faciles condamnations». «Espérons que tous ces discours concrets se transforment en actions concrètes», avait alors réagi Marie Collins, une victime irlandaise d’abus et ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs. Elle avait démissionné en 2017 en dénonçant alors le «manque de coopération» de la Curie.

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«La déshumanité du phénomène au niveau mondial devient encore plus grave et plus scandaleuse dans l’Eglise, car en contraste avec son autorité morale et sa crédibilité éthique», a encore lancé François. Les abus sexuels sur des mineurs commis par des hommes d’Eglise sont pour lui «la manifestation actuelle de l’esprit du Mal. Derrière cela, il y a Satan.» Paroles mal reçues par les victimes réunies à Rome. «Le diable est la hiérarchie catholique, s’est emporté, après le discours, Miguel Hurtado, une victime espagnole. Le pape François tente d’externaliser le problème. Non. Ce sont les évêques, prélats et cardinaux qui, en suivant les directives du Vatican, ont couvert systématiquement et pendant des décennies des délits gravissimes de pédophilie.»

Autocritique impitoyable

L’Eglise universelle s’est pourtant livrée à une impitoyable autocritique. Elle a reconnu ses erreurs dans la gestion des nombreux scandales. Elle a promis de prendre toute sa responsabilité. Outre les mesures annoncées dimanche, certains parmi les 190 participants ont exprimé leur volonté de lever le secret pontifical dans le cas de crimes comme les abus sexuels sur mineurs. «Il s’agira d’imposer des limites très nettes au devoir de confidentialité, tente d’expliquer une source au Vatican. A quel moment le secret doit s’arrêter pour que tout soit clair.»

La pédophilie dans l’Eglise est aujourd’hui le plus grand défi de François. Cette réunion internationale pourrait ainsi marquer un tournant dans son pontificat. «Le pape lui-même a fait un cheminement intérieur et a reconnu que [la problématique] était extrêmement sérieuse, explique Mgr Felix Gmür, le président de la conférence épiscopale suisse. L’évêque de Bâle a reçu Le Temps samedi soir dans l’appartement du chapelain de la Garde suisse, au Vatican. Le pontife «en a maintenant reconnu la gravité et l’a partagé avec les évêques. Je crois que c’est décisif dans son pontificat.» L’évêque suisse a aussi insisté sur la «synodalité» si chère à François, l’importance de la collégialité des épiscopats et de l’entraide pour affronter le sujet.

Une Eglise en flammes

Or «on peut compter les évêques n’étant pas impliqués au moins dans des faits de non-dénonciation sur les doigts d’une main, regrette Piero Brogi, membre de l’association de victimes italiennes L’Abuso. Si le pape est plein de bonne volonté, tout est fait derrière lui pour freiner le processus», pense cet activiste résidant aujourd’hui à Paris. A l’ombre des colonnes de la place Saint-Pierre, il explique avoir été violé à l’âge de 9 ans par un prêtre à Rome dans les années 70. Le pape «a les mains liées», ajoute-t-il encore.

François est en réalité à la tête d’une Eglise en flammes. Pour illustrer un livret distribué aux dirigeants de l’Eglise au début du sommet, les organisateurs ont en effet choisi L’incendie du bourg de Raphaël, où des Romains paniqués par le feu font face à un Léon IV en train d’impartir la bénédiction apostolique.