A défaut d’être dans les cœurs, Vladimir Poutine est dans toutes les têtes. Grâce à une télévision qui le loue quotidiennement depuis seize ans, le président russe a fait le vide autour de lui. «Qui peut diriger la Russie, sinon Poutine?» s’interroge Dina Fiodorovna, en examinant les dernières tomates de la saison dans son potager. «Il y a peut-être d’autres hommes politiques valables dans notre pays, mais je ne les connais pas», explique cette dame à la retraite, qui passe les mois d’été dans sa datcha de Sabourovo, village des environs de Moscou. «Ceux qu’on nous montre ne font pas le poids, c’est évident!» poursuit-elle. Dans l’unique pièce du premier étage, la télévision est en permanence allumée, diffusant Pervy Kanal, une chaîne contrôlée par le Kremlin. «Vladimir Poutine ne m’est pas sympathique. Je ne me fais pas d’illusion sur lui ni sur ses méthodes. Mais les autres feraient pareil à sa place.»

Trop proche des oligarques

«Je le trouve trop proche des oligarques», enchaîne son mari Alexandre Ivanovitch, assis dans un coin de la pièce, se rafraîchissant avec une bière. «Qu’a-t-il fait pour les retraités? Pour assurer une sécurité sociale et un système de santé digne de ce nom? Rien!» déplore cet ancien policier à la retraite. «La seule chose de bien chez lui, c’est sa capacité à tenir tête aux Etats-Unis qui veulent mettre leur nez partout. Il sait taper du poing sur la table et se faire respecter dans l’arène internationale», poursuit-il, en s’animant un peu. «Poutine a rattaché la Crimée, ça au moins on peut le mettre à son crédit!», fait écho Dina Fiodorovna.

L’enthousiasme des Russes pour leur inamovible chef d’Etat a atteint un pic pendant les mois qui ont suivi l’annexion de la Crimée aux dépens de l’Ukraine en mars 2014. Près de 90% disaient alors «approuver» la politique menée par Vladimir Poutine, selon l’institut de sondage Centre Levada. Aujourd’hui, ce pourcentage se tasse un peu (82%), tout en restant à un niveau très élevé, comparé aux dirigeants occidentaux.

Baisse de popularité

Mais quand le même institut de sondage analyse l’attitude des Russes par rapport à Vladimir Poutine en tant que personne, les résultats donnent une image différente. Un sondage du Centre Levada paru le 8 août révèle que la cote de sympathie du président russe est retombée à 29%, son niveau de 2000, peu après sa nomination au poste de premier ministre par le président Boris Eltsine. Il s’agit d’un affaissement certain par rapport aux pics de sympathie (50%) atteints au lendemain des conflits avec la Géorgie (2008) et à l’annexion de la Crimée. La lune de miel est-elle terminée? Comme l’expliquent les sociologues ayant réalisé l’enquête, «l’indifférence domine, ce qui est typique des régimes autoritaires».

Cette relative lassitude envers le chef de l’Etat s’accompagne d’une nostalgie pour les dirigeants historiques du pays. «Je m’en étonne moi-même, mais finalement je pense que [le premier secrétaire du Parti communiste Leonid] Brejnev fut le meilleur», estime Dina Fiodorovna. «Sous sa direction, beaucoup de choses ont été faites pour les gens ordinaires, explique cette ancienne directrice de magasin de vêtements. «Cela contraste avec Poutine, dont le plus grand échec est l’économie.»

Viktoria Lebedeva, la jeune voisine de Dina Fiodorovna, voit les choses différemment. «Je fais confiance au président. Bien sûr qu’il a une part de responsabilité dans la crise économique. Mais avec une telle quantité d’ennemis extérieurs, renforcer la situation économique est extrêmement difficile», explique cette jeune experte-comptable enceinte. Assise dans le patio de l’imposante datcha de ses beaux-parents, elle estime «important de rappeler que Vladimir Poutine nous a apporté la stabilité économique pendant les années 2000». Viktoria Lebedeva hésite toutefois à le qualifier de sympathique. «Nous savons très peu de chose sur sa véritable personnalité et son caractère. Il me paraît calme et équilibré, contrairement aux gens de l’opposition. A part Poutine, le seul homme politique qui me plaît est le ministre de la Défense [Sergueï Choïgou]». Toujours cette peur des ennemis encerclant la Russie.