Le couronnement de Charles III, un incroyable anachronisme qui a trouvé son public
Royaume-Uni
Le couronnement de Charles III a marqué un moment historique, entre pompe impressionnante et archaïque, petite pluie fine et foule dédiée à la cause

A 11h46, Zadok the Priest, l’extraordinaire hymne composé par Georg Friedrich Haendel, a retenti dans l’abbaye de Westminster. Soudain, le grand bal costumé qu’était le couronnement de Charles III est devenu un événement historique. Les habits d’apparat du roi Charles III lui ont été retirés. Sous l’épaisse cape d’hermine, un homme en simple chemise blanche, les épaules un peu voûtées, les cheveux rares et blancs, est apparu brièvement. Il a ensuite disparu, protégé des regards par trois panneaux fabriqués pour l’occasion, placés autour de lui. Une cérémonie de seulement cinq minutes venait de débuter, rendue puissante justement parce qu’elle était invisible du commun des mortels.
A genoux, le vieux nouveau roi de 74 ans a reçu l’onction de l’huile sainte. Le «plus long apprentissage de l’histoire», comme les Britanniques le caractérisent parfois en rigolant, était fini. A cet instant, Charles Philip Arthur George est vraiment devenu Charles III. S’il est de fait roi depuis l’instant du décès de sa mère, le voilà intronisé, officialisé aux yeux des Britanniques et du monde entier. Il lui restait à recevoir l’orbe, la bague, un gant, deux sceptres. Et finalement, l’archevêque de Canterbury lui a posé sur la tête l’impressionnante couronne de saint Edouard, deux kilos d’or et de pierres précieuses façonnés en 1661.
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L’installation de ces panneaux est une nouveauté mais Elisabeth II avait, elle aussi, choisi de cacher cet instant, le plus sacré de tous, tout simplement en ne le diffusant pas à la télévision. Le lien divin ne se montre pas… «Je dois être vue pour être crue», avait pourtant l’habitude de répéter Elisabeth II. Son rôle, telle qu’elle le vivait, était d’être présente, de passer de cérémonie en cérémonie, de donner l’impression aux Britanniques de pratiquement pouvoir la toucher du doigt, mais de ne jamais rien dire et de conserver la magie et la grandeur de la monarchie. C’est exactement le même jeu d’équilibriste qu’a tenté Charles III ce samedi: la magie du couronnement dans l’abbaye de Westminster, où ses 40 prédécesseurs, depuis Guillaume le Conquérant il y a bientôt 1000 ans, ont fait de même; la fête populaire, avec la procession et la foule amassée le long du Mall, la grande avenue menant à Buckingham Palace.
Des carrosses et des devinettes
Il est 13h30. Le carrosse du roi arrive. Dans la foule, la rumeur monte. Chacun est sur la pointe des pieds, tentant d’apercevoir le défilé. «Ah, the real deal», lance un spectateur. Après les régiments militaires, passés les uns après les autres, le souverain est là. Les téléphones sont sortis d’une main pour enregistrer une vidéo, les parapluies tenus de l’autre. Charles III passe en quelques secondes, mais suffisamment lentement pour que chacun l’aperçoive. «C’est qui dans le carrosse d’après? William?» s’interroge un spectateur. Quelques Rolls-Royce suivent: «Franchement, une voiture, c’est moins excitant qu’un carrosse», s’amuse une femme. Chacun tente de deviner quel minor royal est derrière les vitres. Un cousin? Harry? «Béatrice, tu crois?» Peu importe, ce qui compte est d’être présent pour cette «occasion unique d’une vie», comme tout le monde le répète. «Je n’étais pas née au précédent couronnement et je serai trop vieille pour le prochain», explique Sue Bradshaw. Beaucoup de familles sont venues précisément pour que les enfants voient ce «moment historique».
«Je suis trempée», s’amuse Karen McRae. La pluie a commencé doucement vers 10h, a redoublé au moment où la procession est rentrée dans l’abbaye de Westminster et a commencé à sérieusement mouiller les chaussures quand le roi et la reine sont apparus au balcon. Mais qu’importe, ajoute aussitôt celle qui a déjà assisté à quatre mariages royaux, un enterrement (celui de Diana) et trois jubilés. «Il était hors de question de rater ça. Je devais ajouter un couronnement à ma liste.» Elle est venue du Yorkshire avec son mari («quarante et un ans de mariage!») et est ravie: «Personne au monde ne fait la pompe et les défilés comme les Britanniques.»
Le soutien à la monarchie s’affaiblit
Les sondages sont sans appel: depuis quelques années, avant même le décès d’Elisabeth II, le soutien à la monarchie s’est affaibli. Le dernier pointage, réalisé par l’institut YouGov en avril, indique que seuls 62% des Britanniques veulent conserver une monarchie, contre 25% qui préféreraient un chef d’Etat élu. C’est nettement moins que les presque 90% de soutien des années 1980. Mais sur le Mall, ce samedi, on est entre convaincus. Une poignée de manifestants républicains ont tenté de se faire entendre, brandissant des panneaux «Not my king», mais ils ont été immédiatement arrêtés. Une autre dizaine de protestataires, certains arborant un t-shirt «Just stop oil», étaient également présents. Dans les secondes qui ont suivi leur arrivée, la police les a arrêtés et menottés pour «breach of peace» («troubles à l’ordre public»). Ils étaient ultra-minoritaires et la foule les huait. Un petit garçon, en équilibre sur une barrière, qui trépignait de sa longue attente, s’agaçait: «Ce sont des manifestants! Bouh! Bouh!»
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Cette foule monarchiste était également bien décidée à abandonner au passé les doutes qu’elle a eus à propos de Charles. Le divorce d’avec Diana, le second mariage avec Camilla, la dispute avec Harry: tout ça est oublié. «On a décidé d’aimer le roi Charles», affirme d’un ton décidé Bernadette Ellison, assise dans son fauteuil pliant. A l’écouter, il y va de l’identité britannique. Cette ancienne militaire raconte bien à quel point la famille royale est profondément ancrée dans les institutions britanniques. «Quand j’ai prêté allégeance à la reine [en s’enrôlant dans l’armée], c’était très important. Dans l’armée, c’était elle la boss. Elle était au centre de tout. Et aujourd’hui, c’est Charles.»
Rebecca Dobson raconte une autre facette de l’étonnante présence de la famille royale dans toutes les couches de la société. Cette infirmière est venue du Lake District avec ses deux enfants, Mathilda et Marta. «On est des royalistes», explique-t-elle comme une évidence.
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Pendant la pandémie de covid, cette mère célibataire a dû envoyer ses enfants en bas âge auprès de ses grands-parents pendant quatre mois, pour pouvoir continuer à travailler. Quand l’anniversaire de Mathilda, qui avait alors 7 ans, est arrivé, elle a envoyé une lettre à la reine, lui demandant si celle-ci pouvait écrire à sa fille une lettre d’anniversaire et de remerciement pour ses efforts. Et la reine… a effectivement envoyé une lettre, dont Mathilda est si fière.
Les loyaux sujets du roi
Ce couronnement, cet incroyable anachronisme, se justifie-t-il encore aujourd’hui? Dans cette foule de convaincus, personne n’en doute. C’est justement la tradition ancestrale qui les attire. «La monarchie nous enracine dans l’histoire, nous donne un sens de la continuité», estime Ciara Wong.
Une fois la procession passée, quand les barrières ont été enlevées, la foule a pu finalement s’amasser sur le Mall. Au balcon de Buckingham Palace, Charles III et la reine Camilla sont apparus. Un survol d’hélicoptères, un autre d’avions, puis l’orchestre a joué God Save the King, que la foule a repris à tue-tête. S’il y avait le moindre doute à travers le Royaume-Uni sur l’avenir de la monarchie britannique, il n’était pas chez ces loyaux sujets.
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