Deux France. L'une verrouillée entre 21 heures et six heures du matin. L'autre qui essaiera – si les taux de circulation du coronavirus le permettent – de continuer sa vie normale. En optant pour une mesure forte, à savoir l'imposition du couvre-feu entre 21 heures et six heures du matin dans les grandes métropoles françaises, Emmanuel Macron prend un réel risque. Toutes les villes concernées, à commencer par Paris et sa banlieue, sont celles où le confinement à laissé derrière lui le plus de blessures sociales. C'est aussi dans ces métropoles que la vie culturelle est, logiquement, la plus épanouie, et que se concentre la jeunesse étudiante déjà déboussolée par les bouleversements des cours et des examens. Le sevrage annoncé de six semaines, doublé de mesures de sécurité sanitaire renforcée dans les lieux publics, y prendra donc l'allure d'un douloureux carcan. 

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Avoir fait ce choix témoigne, chez le président français, d'une volonté de miser d'abord sur l'autorité de l'Etat face au virus. Les forces de l'ordre vont redevenir, dans cette France du couvre-feu, le métronome de la vie nocturne. Le rituel des attestations et des amendes va reprendre. Fallait-il en arriver là? Et ne risque-t-on pas de voir mourir, à la faveur de ce couvre-feu, toute une partie de la convivialité déjà mise à mal par l'internet?

En se posant en garant de la santé publique, quitte à mécontenter les jeunes générations, le plus jeune locataire de l'Elysée de l'histoire fait aussi un pari politique: celui d'un indispensable repli sur la cellule familiale et d'une inévitable restructuration massive du secteur de la restauration et de l'hospitalité dans une capitale telle que Paris. A la faveur de l'épidémie de Covid-19, celui qui promettait de transformer la France lui ordonne, parce que le danger du virus menace, de rester cloîtrée chez elle. Le leader de la «start-up nation» a accouché, face au risque d'une saturation hospitalière, d'un père anxieux et sévère.

Reste donc maintenant à savoir comment les Français vont réagir, même si l'hiver est plus propice au couvre-feu nocturne que l'été. Un mouvement d'exode massif des urbains qui peuvent se le permettre (professionnellement, familialement et financièrement) ne va-t-il pas réapparaître? Les populations en difficulté des quartiers chauds vont-elles accepter sans réagir le quadrillage policier qui va en résulter? Une recrudescence des attaques contre les forces de police – plusieurs exemples ont scandé l'actualité de ces derniers jours - est elle à craindre? Les dispositifs d'aide budgétaire massive aux entrepreneurs et la prolongation des mesures de chômage partiel suffiront-elles à clamer l'incendie de colères et d'inquiétudes? La «résilience» appelée de ses vœux par Emmanuel Macron sera-t-elle au rendez vous si ces mesures sont perçues comme trop injustes et trop punitives?

Si le gouvernement ne fait pas preuve de discernement dans la mise en œuvre de ce couvre-feu dans cette France urbaine rongée par l'angoisse sanitaire et professionnelle, le scénario d'une rébellion sociale, ou d'une multiplication d'incidents isolés, ne peut malheureusement pas être écarté.