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Dans la crise des vaccins, Londres bombe le torse

Les taux de vaccination très supérieurs du Royaume-Uni renforcent la conviction des brexiters qu’ils ont fait le bon choix. Morceaux choisis de la presse britannique, sur fond de crise avec «the block» – l’Union européenne…

Boris Johnson porte une sacoche de vaccins AstraZeneca dans un centre de vaccination mobile. The Hive, nord de Londres, janvier 2021. — © Getty Images
Boris Johnson porte une sacoche de vaccins AstraZeneca dans un centre de vaccination mobile. The Hive, nord de Londres, janvier 2021. — © Getty Images

«Que la réponse à la pandémie ait été juste ou mauvaise, il y a une chose pour laquelle le gouvernement ne s’est pas trompé, c’est sa politique d’approvisionnement en vaccins. La même chose ne peut pas être dite de nos voisins continentaux.» Vous l’entendez, cette petite pointe de supériorité nationale dans la voix du commentateur du Telegraph? Si vous lisez la presse britannique ces jours, cette petite pointe vous semblera même très familière: de nombreux journaux chantent actuellement les louanges du gouvernement britannique face à l’embarras du «block» – le nouveau mot-forteresse pour dire l’Union européenne.

Si le Royaume-Uni pleure plus de 100 000 morts – c’est le pays le plus touché en Europe en nombre de décès – le pays a en effet déjà vacciné ce 29 janvier environ 8 millions de ses résidents, soit 13% de sa population – contre 2,3% en Suisse et 1,7% en France. Partout dans la presse, des reportages sur la France, l’Espagne, le Portugal, où des régions entières ont dû mettre sur pause leur programme de vaccination. «Pourquoi l’UE est-elle si lente?» s’apitoie la BBC. Et partout aussi des courbes nationales qui montent fièrement pour arriver au chiffre de 13 millions de personnes vaccinées à la mi-février, comme Londres s’y est engagé. «La meilleure pub pour le Brexit», s’amuse le Daily Mail.

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Et qui doit-on remercier de ce bon résultat? Le Brexit, bien sûr – toujours si on suit le raisonnement du Telegraph. «Le Royaume-Uni était encore dans période de transition quand il a été invité à se joindre au plan commun de l’UE pour obtenir des vaccins. La Commission négocierait pour tous et obtiendrait de meilleurs prix, en raison de sa taille. Au lieu de cela, la Grande-Bretagne a pris des mesures seule et rapidement pour s’assurer d’obtenir des vaccins AstraZeneca, trois mois avant l’UE, en utilisant une clause d’urgence. Il est généralement admis que Londres paie plus cher ses doses, mais la vitesse était cruciale. N’importe quel autre pays membre aurait pu faire la même chose mais ils ont préféré la solidarité et l’unité.» Boum.

C’est l’usage d’une clause d’urgence européenne qui a permis à Londres d’aller de l’avant, pas le Brexit, mais qu’importe, poids plume contre paquebot: l’affaire AstraZeneca cette semaine achève de polariser la presse britannique, qui défend bec et ongles ce nouveau fleuron national (suédo-britannique à la vérité), après que la compagnie a annoncé à la Commission européenne qu’elle ne pourrait fournir qu’un quart des doses promises pour le 1er semestre, 25 millions au lieu de 100. Un échec de production mal ressenti des deux côtés du Channel. «Chacun son tour! L’égoïste Europe veut nos vaccins», titrait hier The Daily Express.

«Bruxelles a envoyé des inspecteurs dans une usine de production belge pour vérifier si AstraZeneca ne mentait pas sur ses retards de production», s’étranglerait presque le tabloïd The Sun, qui insiste sur «la guerre des vaccins» et évoque une «incroyable escalade de tensions». Mais en temps de pénurie, qui est prioritaire entre les deux clients? «Il faut de la transparence», analyse une tribune plus apaisée du Financial Times qui regrette que les contrats passés avec les laboratoires ne soient pas rendus publics: on saurait alors si le texte mentionne les «best efforts» que doit faire AstraZeneca, comme le dit son directeur, ou si l’engagement était ferme vis-à-vis de l’Union européenne et «crystal clear», comme l’a dit la présidente de la Commission européenne ce matin, Ursula von der Leyen – le mot est repris partout.

«Le covid a appris au Royaume-Uni l’importance de l’autosuffisance, estime The Times, pendant des années les conservateurs n’avaient aucune confiance dans l’idée même de stratégie industrielle, mais la pandémie a tout changé. Les vieilles certitudes de la globalisation ont explosé et les ministres se rendent compte qu’il faut rapatrier plus d’usines. Ce qu’on pensait sous Tony Blair, que le lieu de production ne compte pas, s’avère être une grossière erreur.»

Cela arrange l’Union européenne…

«L’exercice de vaccination du bloc était censé montrer comment les muscles financiers de Bruxelles et un sens retrouvé de la solidarité allaient profiter aux Européens, reprend The Independent. Si AstraZeneca avait été chinoise ou américaine et préparait ses vaccins loin de la Grande-Bretagne et de l’UE, toute cette histoire n’aurait pas pris cette teinte chauvine et passionnée, ce serait juste un différend commercial, mais maintenant bien sûr tout est devenu infecté par le virus du nationalisme. D’une certaine façon, cela arrange l’Union européenne d’être vue comme se dressant pour ses citoyens et exigeant leur dû, leur dû légal et moral.» Et un peu plus loin: «Cela distrait d’une façon bienvenue les critiques des Etats membres des éventuelles fautes de l’UE. Mais cela ne pourrait peut-être pas durer.»

Les nouvelles règles que Bruxelles pourrait imposer sur les exportations qui quittent le sol européen pour une destination tierce fâchent donc. «Cela pourrait empêcher l’arrivée de millions de doses de vaccin Pfizer dont le gouvernement a besoin», écrit The Sun. «Londres était en avance à cause du Brexit mais cela pourrait changer bientôt si une guerre des vaccins commence», redoute The Telegraph. Les inconvénient d’avoir quitté «the block» reviendraient, le poids économique de l’UE étant bien supérieur, et donc le marché plus intéressant pour des entreprises.

Cette petite phrase encore: «Que les Allemands remettent en cause l’efficacité d’AstraZeneca pour les plus de 65 ans n’est pas juste pour les scientifiques anglais. Et l’Europe devrait se décider. D’abord elle hésite, après elle se plaint de ne pas pouvoir en avoir assez.»