Au Danemark, contester les restrictions sanitaires peut mener en prison
Justice
AbonnéUne manifestante qui avait appelé à «détruire Copenhague de manière non violente» a écopé de 2 ans de prison. Une fermeté exceptionnelle qui suscite l’émoi dans la société danoise

«J’ai deux petits enfants à la maison…» Les mots étouffés par les sanglots, une mère danoise de 30 ans, effondrée, crie sa détresse vendredi dernier en entendant le verdict de son procès au Tribunal correctionnel de Copenhague: 2 ans de prison ferme pour atteinte grave à l’ordre public et pour avoir exhorté à la violence contre la police. Elle a aussitôt fait appel de cette condamnation.
Dans un discours le 9 janvier dans la capitale danoise, lors d’une manifestation des «Men in Black», mouvement opposé aux restrictions anti-covid, elle avait harangué la foule avec ces mots: «Etes-vous prêts à détruire la ville de manière non violente? Juste pour faire prendre conscience que nous sommes contre ce confinement du gouvernement.» Une menace suffisante pour le jury et le juge, aggravée par ses appels à poursuivre la manifestation après sa dissolution.
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Adopté en urgence le 26 mars 2020 par une majorité du parlement, l’amendement d’un article du Code pénal double les peines pour les délits liés à la crise sanitaire. A cette époque, l’objectif était de mettre un terme aux vols de masques et de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux, ainsi que les abus aux aides publiques.
Procureur pourchassé
A l’extérieur du Palais de justice, des dizaines de manifestants ont accueilli avec colère ce «jugement insensé» vendredi dernier, pourchassant le procureur Henrik Uhl Pedersen. L’homme a trouvé refuge auprès de policiers sous les invectives des protestataires qui lançaient «honte à toi» et le traitaient de «traître».
Ce jugement est historique car c’est la première fois que l’on condamne, sous ce régime de peine doublée, une manifestante dans un royaume attaché à la liberté d’expression. Il a suscité de vives critiques de juristes, d’avocats, d’ONG et de partis de centre gauche, comme les Radicaux et les Socialistes populaires, qui soutiennent le gouvernement social-démocrate. Les associations d’avocats et de magistrats ont mis en garde contre la disposition de la double peine pour les crimes «en rapport avec l’épidémie», estimant qu’elle n’était «pas claire et formulée de manière trop large».
Précisément parce que les restrictions anti-covid sont si intrusives, il est important que le débat ne soit pas réprimé
Le professeur de droit Joern Vestergaard de l’Université de Copenhague partage cet avis, jugeant le verdict «trop sévère». «Il me semble inquiétant que la sentence soit fixée sur une base aussi vague», analyse-t-il en rappelant que «le projet de loi sur la double peine a été examiné en quelques jours seulement au parlement».
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Pour Jacob Mchangama, directeur du centre de réflexion Justitia, «les réactions du procureur et de la police paraissent hors de contrôle. Ils commettent à leur façon une forme de vandalisme contre notre société libre en serrant aussi durement la vis» contre les opposants au confinement. A ses yeux, les autorités expriment, ce faisant, une forme de panique. «Elles ont extrêmement peur que la situation particulière dans laquelle nous nous trouvons conduise à des émeutes et des troubles du type de ceux que nous avons vus dans d’autres pays, comme aux Pays-Bas et aux Etats-Unis.»
Dimanche dernier, la police a par ailleurs arrêté une enseignante de 29 ans à Aarhus. Elle avait publié sur Facebook une photo d’une poupée en feu représentant la première ministre, Mette Frederiksen. Inculpée de menace contre une représentante de l’autorité publique, elle risque jusqu’à 8 ans de prison – et même le double selon la loi amendée. Pour son avocat Jonas Christoffersen, cette affaire montre que «tout ce qui rappelle une distanciation par rapport à la politique corona du gouvernement est réprimé».
L'enseignante a affirmé ce jeudi «avoir utilisé cette photo comme illustration d'une proposition citoyenne pour réviser cet article du code pénal». Elle a créé un groupe sur Facebook intitulé «STOP paragraphe 113» qui se définit comme faisant partie du «mouvement de résistance» «luttant pour la liberté».
Appels à réviser la loi
Au parlement, des voix s’élèvent justement pour réviser la loi. «J’ai voté pour à l’époque, mais je ne pense pas que l’on doive traiter plus durement des manifestants contre le covid que d’autres», estime Katrina Lorentzen du Parti socialiste populaire.
Tout aussi critique, le journal de référence Politiken appelle, dans un éditorial, à abolir cette législation répressive. «Précisément parce que les restrictions anti-covid sont si intrusives, il est important que le débat ne soit pas réprimé. Ce débat est la pierre angulaire de la démocratie, et c’est dans les crises majeures, comme celle d’aujourd’hui, qu’il est crucial de le sauvegarder.»
En réaction à ces critiques, le ministre de la Justice, Nick Hækkerup, a défendu bec et ongles cette règle de la double peine qui est «sensée dans la situation extraordinaire dans laquelle nous nous trouvons», estimant avoir «le soutien du parlement qui a prolongé cette disposition jusqu’à la fin de l’année».
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