Dijon redoute de devenir un bastion de gangs
affrontements
Le déferlement de violences communautaires dans la ville, où des expéditions punitives menées par des Tchetchènes ont eu lieu ce week-end, interroge sur l'importance des bandes criminelles et l'action de la police, sur fond de trafics qui touchent la Suisse

«Dijon n'est plus la ville d'avant, l'incarnation de la ville bourgeoise de Bourgogne. A coté d'un réel dynamisme économique, le déclassement social et le communautarisme se sont installés.» Député européen, ancien élu régional de droite, Arnaud Danjean a vu changer la ville secouée, ce week-end, par de violents affrontements entre nouveaux arrivants Tchétchènes et caïds locaux, issus de l'immigration maghrébine. Un journaliste du quotidien Le Bien Public confirme, anonyme: «Ce qui se passe est trop lourd pour ne pas avoir un lien avec une guerre des gangs en arrière-plan. Regardez la carte. Dijon est idéalement placée sur la route des trafics de stupéfiants. Entre la drogue qui arrive de Turquie par l’est et celle qui remonte du sud de la France, c’est un nœud. Alors croire au simple règlement de comptes entre Tchétchènes et Maghrébins, j’ai de la peine.»
Les images, il est vrai, ont montré ces derniers jours une situation hors de contrôle dans le très «chaud» quartier des Grésilles, proche du Palais des congrès. Les meneurs de ces violences? Des bandes de jeunes Tchétchènes cagoulés (aisément identifiables lorsqu’ils parlent entre eux) en train de quadriller les rues, armés de couteaux et de bâtons. Motif avancé par ces derniers: la riposte «légitime» de leur communauté à l’agression d’un adolescent caucasien de 16 ans, le 10 juin, par des agresseurs présumés, présentés comme des «dealers» issus de la communauté maghrébine.
La première cible de ces règlements de compte a été un bar à chicha du centre-ville, pourtant fermé et scellé après l’agression. Un homme a aussi été blessé par balles et des armes de guerre ont été exhibées, imposant le déploiement tardif, mardi, de 150 policiers et gendarmes anti-émeutes. Quatre personnes ont été placées en garde à vue. Et preuve de l'écho national donné aux courses-poursuites en pleine rue, dont les images ont été diffusées sur les réseaux sociaux, la présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, s'est rendue sur place, prenant la parole après le secrétaire d'Etat à l'Intérieur Laurent Nunez.
L’actualité du lundi 15 juin: Des dizaines de gendarmes en renfort à Dijon après des violences impliquant la communauté tchétchène
Une riposte
Au final? Le sentiment d’impuissance des forces de police, d'autant moins disposées à intervenir au plus fort des émeutes, samedi et dimanche, que la fracture entre les policiers et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, est béante. Cette mésentente a été attisée par les sanctions automatiques initialement annoncées par le responsable, le 8 juin, en cas de «soupçons avérés» de racisme, sur fond de mobilisations contre les violences policières après le meurtre de George Floyd aux Etats-Unis. L'hypothèse d'un retrait calculé des forces de sécurité, laissant les choses se dégrader pour mettre la pression sur les autorités françaises, ne peut donc pas être complètement écartée. «Le ras-le-bol des flics est réel, confirme un élu de la région. Ils sont débordés sur le terrain. Ce qui se passe à Dijon, où ils ont dû intervenir durant le confinement pour faire cesser les rodéos urbains, comme à Montbéliard, prouve que l'ordre public ne tient qu'à un fil.»
La communauté tchétchène, estimée par l’Office français de l’asile (Ofpra) à environ 15 000 personnes (entre 30 000 et 50 000 selon d'autres sources), est avant tout localisée en Alsace, en Lorraine, en Franche-Comté et sur la Côte d'Azur. Elle est traditionnellement surveillée de près par la police, en raison de ramifications avec le grand banditisme du Caucase – notamment avec le gang géorgien Vory V Zakone, «les voleurs dans la loi», dont l’un des parrains présumés a été condamné en décembre 2019 à la réclusion criminelle à perpétuité à Aix-en-Provence pour avoir commandité le meurtre d’un rival – et des infiltrations djihadistes: deux Tchétchènes avaient été interpellés en décembre à Strasbourg, un an après l’attentat meurtrier du 11 décembre 2018, pour «apologie du terrorisme».
Une poussée que personne n’a vu venir
Comment expliquer, dès lors, que cette poussée de fièvre violente à Dijon n’ait pas été anticipée? «On sentait que quelque chose allait se passer avec le déconfinement», expliquait mardi à Franceinfo un habitant du quartier des Grésilles. «Les allées et venues de voitures, sur les points de vente de stupéfiants, étaient bien plus importantes que d’habitude.» Un élément pourrait avoir attisé la guerre larvée entre gangs: la saisie, en mai, de 83 kilos de cannabis par les douaniers près de Dijon, sur une aire de repos de l’A31, à Ladoix-Serrigny, en Côte-d’Or. Cette opération a été suivie quelques jours plus tard par une seconde prise, toujours sur ce même axe routier, de 438 kilos. Valeur estimée de la cargaison: 4,5 millions d’euros.
Un élément pourrait avoir attisé la guerre larvée entre gangs: la saisie, en mai, de 83 kilos de cannabis par les douaniers près de Dijon, sur une aire de repos de l’A31, à Ladoix-Serrigny, en Côte-d’Or. Cette opération a été suivie quelques jours plus tard par une seconde prise, toujours sur ce même axe routier, de 438 kilos de cannabis et un chargement de psychotropes. Valeur estimée de la cargaison: 4,5 millions d’euros.
Des jalousies attisées par le retranchement
La saisie des camions a-t-elle déclenché ces règlements de comptes? «Il y a une bataille de territoires. Je ne crois pas à la légitime défense», poursuit un ex-agent du renseignement intérieur impliqué dans l’enquête sur le Français radicalisé d’origine tchétchène de 20 ans, Khamsat Azymov, abattu par les policiers après avoir tué un passant le 12 mai 2018 à Paris. «Ces règlements de comptes sont conformes à la géographie humaine du banditisme et au degré d’implantation des mafias russophones.» Avec cette inquiétude: «On nous a mobilisés sur le terrorisme, et nous avons délaissé les trafics. Résultat: les mafias issues de toutes les communautés en ont profité.»
En 2013, un important réseau dijonnais de «stups» avait été d'ailleurs démantelé, ponctué par l'’interpellation de 13 personnes. La plupart opéraient depuis le quartier de Stalingrad, à quelques rues du quartier des Grésilles aujourd'hui happé par la violence tchétchène.