Au deuxième étage de l’Hôtel de Ville du Havre, tour de béton posée face à la mer, le bureau du maire donne sur les grues du port, et sur la forêt de containers au loin. Un paysage de chantier permanent qui correspond un peu à ce qu’Edouard Philippe laisse derrière lui, après son départ de l’hôtel Matignon.

Lire aussi: Avec Jean Castex, la contre-offensive Macron

L’homme qu’Emmanuel Macron décida, en mai 2017, de nommer à la tête du gouvernement n’était pas aux avant-postes de la politique française. Cet énarque juriste (il est membre du Conseil d’Etat), germanophone parce que éduqué en partie en Allemagne où son père dirigeait un lycée français, fut surtout le très compétent bras droit d’Alain Juppé, l’ancien chef de gouvernement de Jacques Chirac (1995-1997) donné comme favori pour la présidentielle de 2017 avant la primaire et la victoire d’un certain… François Fillon.

Lire également: François Fillon, une condamnation en guise de testament présidentiel

La suite fut écrite entre les deux tours du scrutin remporté par Macron face à Marine Le Pen. Recruter Edouard Philippe revenait à démontrer que les anciens partis étaient cassés, et à capter l’électorat de centre droit. Affaire conclue avec succès. Trois ans après, la popularité de l’ex-premier ministre (environ 50% d’opinions favorables), l’absence d’un leader incontesté des Républicains (le parti d’opposition conservateur) et le positionnement à droite d’Emmanuel Macron montrent que son recrutement a bel et bien eu un impact.

Divorce presque programmé

Le divorce, dans ces conditions, était presque programmé. Edouard Philippe, prudent par nature, ne voulait pas en prendre l’initiative, conscient de consolider progressivement son pouvoir grâce à la compétence de son entourage, souvent supérieure à celle de l’équipe présidentielle et de la majorité des parlementaires de la majorité. L’ancien bon soldat juppéiste, traumatisé par l’influence des affaires politico-judiciaires de la mairie de Paris (dans les années 1990) sur son ex-patron, redoutait aussi, une fois redevenu simple maire, de faire face aux plaintes déposées contre l’Etat durant le confinement. Le choix de la rupture est donc celui de l’Elysée, mais il est assorti d’une promesse: celle de laisser Edouard Philippe jouer les premiers rôles d’ici à la future présidentielle. A ce quinquagénaire l’animation de la pensée et du camp macroniens. Un tremplin pour la présidentielle de 2027.

Lire encore notre éditorial: Emmanuel Macron, l’homme qui apprend vite

Aura-t-il la patience d’attendre? Cédera-t-il, d’ici là, à la tentation de devenir dans les prochains mois le chef de cette droite orpheline d’un leader et vampirisée par Emmanuel Macron? Sur le papier, l’hypothèse est crédible. Mais Alain Juppé (aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel), donné souvent favori pour le pouvoir suprême, n’a concrétisé qu’à Bordeaux, où il resta maire plus de vingt ans. Le destin de son dauphin pourrait lui ressembler.