Ils seront inévitablement vilipendés si leurs tendances sont infirmées par les urnes ce dimanche, lors de la désignation du prochain président de la République dont le quinquennat s’ouvrira le 13 mai, date officielle de la fin du mandat d’Emmanuel Macron. Les sondages, dont les médias français ne peuvent plus publier les estimations depuis vendredi minuit pour cause de «réserve électorale», vont pourtant tous dans le même sens depuis le premier tour de scrutin le 10 avril, à l’issue duquel le chef sortant de l’Etat est arrivé en tête avec 27,84% des voix devant Marine Le Pen (23,15%), Jean-Luc Mélenchon (21,95%) et Eric Zemmour (7,07%), tous les autres candidats récoltant moins des 5% des suffrages indispensables pour obtenir le remboursement public de leurs frais de campagne.

Le Temps accorde une attention particulière aux élections françaises. Cet article vous est exceptionnellement offert mais pour recevoir en primeur tous nos articles sur ce sujet, découvrez notre offre d’abonnement spéciale.

La tendance générale? Un net avantage pour Emmanuel Macron qui, selon les dernières estimations, pourrait totaliser ce dimanche soir 55,5% des voix contre 44,5% pour son adversaire d’extrême-droite, face à lui comme en 2017. Un écart certes très éloigné de celui de 2017 (66,1% contre 33,9%), mais une victoire nette pour le président sortant qui deviendrait alors le premier locataire de l’Elysée à être réélu sans avoir expérimenté de période de cohabitation avec une majorité opposée (c’était le cas de François Mitterrand en 1988 et de Jacques Chirac en 2002). Mieux: Emmanuel Macron parviendrait ici à l’emporter là où ses deux prédécesseurs directs avaient échoué. Nicolas Sarkozy, sortant, avait été battu en 2012 par le socialiste François Hollande par 51,56% des voix contre 48,44%. Ce dernier, de son côté, avait renoncé à se représenter pour un second mandat le 1er décembre 2016, ouvrant la porte à l’irruption dans la course à l’Elysée de son ex-collaborateur et ministre de l’économie nommé… Emmanuel Macron. Tour d’horizon alors que le spectre de l'abstention plane sur le scrutin: le taux de participation à la mi-journée s'élève à 26,41%, soit deux points de moins qu'à la présidentielle de 2017.

Marine Le Pen n'a pas trouvé l'arme fatale face à Emmanuel Macron

La candidate du Rassemblement national, qui a voté ce dimanche en fin de matinée dans son fief d'Hénin Beaumont (Pas de Calais, la circonscription dont elle est député depuis 2017) peut bien sûr créer ce dimanche une énorme surprise en l’emportant à l’arraché dans les urnes malgré les enquêtes d’opinion. Pour ce faire, elle devra bénéficier d’un vote «caché», en provenance notamment du plus grand bassin d’électeurs disponibles après le premier tour: celui du candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, malgré les appels répété de celui-ci à «ne pas lui donner une seule voix» au second tour. Un vote majoritaire Le Pen serait celui de la coalition des colères, rendue possible par une forte abstention des électeurs modérés et opposés à l’extrême-droite. Les sondages prédisent pourtant un ralliement in extremis à la candidature Macron, pour éviter le chaos républicain et le chaos européen. Une sorte de front des républicains et des pro-UE pour succéder au «Front républicain» d'antan et au cordon sanitaire entre la droite et l'extrême droite dressés notamment par Jacques Chirac, puis repris par Nicolas Sarkozy (qui a apporté dans l'entre deux tours son soutien à Emmanuel Macron)

Lire aussi: Le dispositif exceptionnel du «Temps» pour couvrir le résultat du second tour de la présidentielle française

Ce scénario d’une victoire de Marine Le Pen reste donc en théorie possible, il faut le redire et le souligner. Mais un élément ne plaide pas en sa faveur: la candidate du RN n’a pas trouvé l’arme fatale face à son adversaire, y compris lors de leur débat télévisé du 20 avril. Il lui a manqué cet élément fédérateur des oppositions et de la haine anti-Macron, trés vive dans le pays. Son positionnement populaire et «dédiabolisé», supposé l’éloigner des thèses classiques de l’extrême droite, a de nouveau buté sur au moins deux sujets très clivants dans l’opinion française: la rhétorique anti-islam, avec sa proposition maintenue d’interdire le voile musulman dans l’espace public si elle est élue, et le grand risque de crise au sein de l’Union européenne qu’elle veut «réformer de l’intérieur» pour la transformer en une «Alliance des nations». Les enquêtes d’opinion montrent bien que le vote de la communauté musulmane française, nettement pro-Mélenchon au premier tour, va peser dans ce scrutin. Elles montrent aussi que l’attachement à l’UE et à l’euro – dont Marine Le Pen ne veut plus sortir, mais… – est un marqueur électoral très fort.

Emmanuel Macron n'a pas calmé les colères, mais il peut rassembler

S’il est réélu ce dimanche soir, le président français sortant l’aura été malgré un niveau de colère très fort dans le pays, et en dépit d’une hostilité personnelle marquée de la part de nombreux Français envers sa personnalité et sa pratique du pouvoir. C’est un fait: Emmanuel Macron sera reconduit à l’Elysée, si tel est le cas, par une partie d’électeurs qui auraient sans doute préféré une autre alternative au second tour. Ceux-ci, qui se recrutent surtout à gauche, lui reprochent sa politique trop marquée à droite depuis 2017, ses ambiguïtés sur l’écologie (qu’il a promis cette fois de mettre au cœur de son second mandat), sa pratique verticale du pouvoir et, surtout, son «arrogance», y compris dans sa gestuelle comme on a pu le voir, selon ces détracteurs, lors du débat télévisé du 20 avril. Dans le cas d'une victoire Macron, le débat focalisera dès 20 heures sur l'ampleur de l'écart: s'il dépasse les 55%, le succès pour le Chef de l'Etat sortant sera indéniable. S'il l'emporte avec 52% ou 53% des voix, le débat reprendre de plus belle sur sa «légitimité» dans un pays électoralement de plus en plus polarisé et divisé.

Emmanuel Macron, ce nouveau venu en politique qui promettait en 2017 de dépasser le clivage droite-gauche, paie ici le prix de ce qu’il a contribué à détruire. Il paie le prix de sa disruption politique et de la disparition programmée des deux grands partis historiques français qui avaient façonné le pays depuis les années 70: le parti gaulliste (dont Les Républicains sont l’héritier) et le Parti socialiste. Il paie le prix de son attitude, des crises et des affaires qui ont lesté son quinquennat: révolte des «gilets jaunes», affaire de son ex-collaborateur Alexandre Benalla, affaire Mc Kinsey, du nom de ce cabinet de conseil avec lequel ses gouvernements ont passé de nombreux contrats… Il paie enfin son choix de s’être déclaré candidat à la dernière minute, faisant une campagne à minima et donnant l’impression de refuser le débat, sauf devant les caméras. Pourquoi peut-il en revanche rassembler? Evidemment en raison du refus de l’extrême-droite. Sa réélection, si elle intervient, posera donc de nombreuses questions sur la fragmentation et la polarisation politique durable du pays.

La France du non risque de l'emporter sur la France du oui

Le débat n’est pas nouveau. Dans une France politique de plus en plus polarisée entre un grand bloc centriste et deux blocs radicaux, à droite (Le Pen) et à gauche (Mélenchon), le grand fantôme qui pèse sur le scrutin de ce dimanche est celui du rejet. Rejet des urnes d’abord, si le nombre d’abstentionnistes dépasse celui du premier tour. Le 10 avril, 26% des électeurs français n’étaient pas allés voter. Se pose aussi la question des votes blancs et nuls dont le nombre avait déjà explosé lors de la présidentielle de 2017 avec quatre millions de bulletins décomptés comme nul, mais pas inclus dans les suffrages exprimés.

Rejet des deux candidats ensuite, même si l’un va l’emporter ce soir. L’élection de Marine Le Pen poserait immédiatement la question d’un chaos social et politique français sans précédent, et transformerait les législatives des 12 et 19 juin en champs de bataille au sens propre. La réélection d’Emmanuel Macron sera aussitôt interprétée par ses détracteurs comme une victoire par défaut, obtenue par le maintien d’un «Front républicain» anti extrême-droite, et grâxe aux promesses faites par le candidat pour rallier certains segments de l’opinion, comme les jeunes engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique. La France du «non» risque par conséquent d’être majoritaire dans les urnes. Avec cette question: comment transformer ce «non» en approbation envers une politique dans les cinq ans à venir? Et comment réussir à rassembler les Français dans ce contexte? Le défi du nouveau locataire de l’Elysée s’annonce encore plus compliqué, sur fond de guerre en Ukraine et de sortie de la pandémie de Covid 19, qu’en 2017.