Ceux qui attendaient – mais y en avait-il? – un grand «big bang» institutionnel, économique et social de la part d’Emmanuel Macron en sont à nouveau pour leurs frais. Pour la première conférence de presse de son mandat, le président français n’a pas cherché à réinventer son quinquennat, dont il a redit les axes principaux, centrés sur la compétitivité retrouvée de la France et sur la «responsabilisation» des Français. Le décorum «monarchique» à la française n’a par ailleurs changé qu’à la marge: un bureau, un échange avec les journalistes… mais tous les membres du gouvernement assis en rangs pour écouter le chef de l’Etat. Une France officielle toujours au garde-à-vous.

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«Réparateur» de la France

Face aux «gilets jaunes» et après le «grand débat national», la principale concession d’Emmanuel Macron est, en réalité, d’accepter de pondérer ses réformes et de s’assurer qu’elles ne creusent pas les inégalités et les fractures entre les générations, les territoires et les classes sociales. Le «transformateur» s’est mué en «réparateur» de la France, qu’il affirme désormais mieux comprendre. La décentralisation redevient une priorité. En langage politique simple, cela se nomme l’apprentissage de la maturité.

Ceux qui avaient pronostiqué, depuis la divulgation de l’essentiel de ses mesures la semaine dernière, une vague de changements imminents peuvent aussi être perplexes. Ce sont des chantiers – dont plusieurs louables et bienvenus dans une France paralysée par son centralisme et sa Ve République monarchique – qu’Emmanuel Macron a ouverts. Il a fixé un agenda.

Pas de grand coup de pied dans la fourmilière. Pas d’annonce majeure et forte. Le virage social attendra. La décentralisation devra être négociée. Ce Macron-là est avant tout un pragmatique caméléon

Il a plusieurs fois parlé de cap. Il a admis être prêt à renoncer à la suppression de 120 000 emplois de fonctionnaires d’ici à 2022, donc à alourdir la dépense publique, qui sera aussi plombée par les diminutions d’impôts à hauteur de 5 milliards d’euros. Mais tout, en fait, reste pour lui à négocier. Emmanuel Macron est en cela un réformiste invétéré. Il ne veut pas casser la machine. Il espère infléchir, profiter demain des vents meilleurs, changer les pratiques en misant sur les nouvelles générations et en captant les bonnes idées des Français.

Son plaidoyer pour un nouvel acte de décentralisation, avec les responsabilités budgétaires qui vont avec, est de ce point de vue conforme à ses convictions. Puisque le sommet de l’Etat marche de moins en moins bien, renversons la table et allons voir du côté de la base. L’éloge des mesures adaptées aux besoins des gens, décidées au niveau des communes avec les responsabilités budgétaires idoines, est louable. Sauf que l’écologie, pour lui, se réduit à des «solutions concrètes». Pas de grand coup de pied dans la fourmilière. Pas d’annonce majeure et forte. Le virage social attendra. La décentralisation devra être négociée. Ce Macron-là est avant tout un pragmatique caméléon.

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Trois messages

A tous ceux qui se contentaient d’attendre, sans illusions ni préjugés, un infléchissement de son quinquennat, Emmanuel Macron a en revanche donné raison en adressant à l’opinion trois messages. Le premier est que les Français, d’une façon ou d’une autre, veulent revenir dans le jeu et ne peuvent plus être tenus à l’écart des décisions. La création d’une convention de citoyens tirés au sort ou l’élargissement des procédures référendaires peuvent paraître des demi-mesures, voire des aménagements cosmétiques. Soit. Mais cela témoigne d’une réalité nouvelle: les «gilets jaunes» et le «grand débat» ont convaincu le président français que rien n’est possible sans dialogue et sans solidarité.

Le voici donc, lui le surdoué, lui le fossoyeur des partis politiques, à louer le rôle des maires et à expliciter sa théorie du «premier de cordée», en affirmant qu’il s’agissait avant tout d’un éloge de la cohésion et de la nécessité de gravir tous ensemble les obstacles. On peut en sourire. Mais l’effort est notable. En clair: Emmanuel Macron a, ce jeudi 25 avril, pendu haut et court le «président-Jupiter» qu’il prétendait incarner, mais il a gardé la corde. La dénonciation des fonctionnaires qui «décident depuis Paris sans consulter le terrain» est révélatrice. Le changement est quand même de taille.

A plusieurs reprises, ses expressions durant la conférence de presse ont de nouveau montré combien il peine à parler simple, à trancher vite, à sortir des sentiers battus des mesures technocratiques

Le second message macronien est que tout se jouera, jusqu’à la fin de ce mandat présidentiel en 2022, sur le pouvoir d’achat et sur les retraites. Les modalités annoncées, en termes de fiscalité notamment, ne sont pas toutes claires. L’incitation à «travailler davantage» fait penser aux incantations passées de Nicolas Sarkozy. N’empêche. Le message des «gilets jaunes» est passé: cette France qui souffre ne doit plus être mise sous pression. Elle doit mieux vivre. Elle doit pouvoir s’exprimer et voir se mettre en place des solutions à sa portée. Emmanuel Macron n’est pas un magicien et il ne prétend pas l’être. Sa ténacité à mettre les Français devant leurs responsabilités l’honore. Mais il a saisi que le point de rupture était atteint. C’est le système qui doit faire des efforts. Pas les Français les plus vulnérables.

Le troisième message est le plus inquiétant, car il démontre que ce chef de l’Etat de 41 ans ne sait pas, au fond, comment changer. Emmanuel Macron pense que tout est concept et complexité. A plusieurs reprises, ses expressions durant la conférence de presse ont de nouveau montré combien il peine à parler simple, à trancher vite, à sortir des sentiers battus des mesures technocratiques. Même la suppression de l’ENA, confirmée, a failli ne pas être annoncée (il a fallu une question pour éclaircir ce point)!

Pas d’électrochocs

Le président français agit comme s’il cherchait toujours à se ménager une issue de secours, une échappatoire. Il n’aime pas les électrochocs. Il veut plus de participation populaire mais ne fait pas confiance au peuple, incarné par la démocratie directe. Son volontarisme est réel, mais le fait qu’il maintienne son premier ministre, issu de la droite, montre qu’il compte continuer de marcher sur la falaise sociale en espérant ne pas tomber. Pari risqué. Car si les choses ne changent pas vite, et que ces changements ne sont pas visibles, sa corde de «premier de cordée» pourrait bien continuer de s’user. Au risque de céder.