Emmanuel Macron, le risque d’une espérance trop naïve
Commentaire
Désormais candidat à la présidence de la République française, Emmanuel Macron devra très vite sortir de son discours focalisé sur l’avenir, la jeunesse et le divorce entre le peuple et ses gouvernants. Commentaire

Le lieu avait été soigneusement choisi. Plutôt que de s’exprimer dans une salle surchauffée par un public nombreux, Emmanuel Macron a opté mercredi pour le symbole. Un centre d’apprentissage à Bobigny, dans cette banlieue parisienne au cœur du malaise français. Une salle d’ordinaire dévolue aux ateliers de mécanique, où son estrade avait été posée entre deux châssis de voitures et des étagères remplies d’outillage.
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Lorsqu’il affirme vouloir «affronter la réalité du monde et de la France», et lorsqu’il dénonce le «divorce entre les gouvernants et le peuple» l’ancien ministre de l’économie, aujourd’hui candidat à la présidence française pour «réconcilier la liberté et le progrès» vise à l’évidence l’électorat jeune, populaire. Ainsi que les classes moyennes qui seront pour lui bien plus dures à conquérir que les élites transgressives, séduites par son parcours, sa volonté de libéraliser l’économie et son goût pour les défis numériques.
Premier axe: se poser en antisystème
Sur le fond, qu’a-t-on appris au fil de ce discours de quarante minutes prononcé seul, sans personne pour «chauffer la salle», devant plus d’une centaine de journalistes et une nuée de caméras? D’abord, que le désormais candidat à l’Elysée veut s’affirmer comme une alternative positive face à une «politique dominée depuis trop longtemps par les mêmes visages et les mêmes hommes». En clair: s’engouffrer dans la brèche ouverte par Donald Trump en se positionnant contre le «système» sans tomber dans la caricature et le discours anxiogène ou brutal.
On voit bien l’angle d’attaque, confirmé par sa volonté de «ne pas rassembler la gauche ou la droite, mais les Français». Difficile de ne pas y voir, aussi, un manque de percussion problématique et une forme de naïveté. Car pour battre ce système qui a déjà commencé à l’assaillir de reproches, il faudra le déboulonner et le faire vaciller.
Deuxième axe: affirmer des valeurs
Deuxième enseignement de son intervention: les valeurs. Travail, Europe, histoire… Emmanuel Macron n’est, de ce point de vue, pas le candidat de la rupture. Il veut au contraire incarner une continuité française. C’est son côté Bonaparte. Il veut renverser la table de la présidentielle, mais en appelant à la rescousse les références historiques qui rassurent l’électorat.
N’est-ce pas là une démarche trop intellectuelle, trop marquée au sceau de cette technocratie et de cette énarchie dont il est un pur produit? En dénonçant «la France bloquée par les corporatismes de tous ordres», en rejetant «les idées toutes faites qui n’assurent rien d’autre que le confort de la vie politique», l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée tape là où ça fait mal… pour ses pairs des cercles de pouvoir parisiens. Pas sûr que l’électorat, lui, partage ce constat alors que la France est économiquement en panne et que chacun, dans son domaine, cherche le plus souvent à préserver son pré carré.
Troisième axe: ne pas entrer sur le terrain identitaire
Troisième leçon, à la fois prometteuse et révélatrice: l’absence de référence au débat sur l’identité, à l’islam et à la menace terroriste qui empoisonnent le débat politique alors que la reconduction de l’état d’urgence jusqu’à la présidentielle de mai 2017 est en cours. Là aussi, l’originalité de la candidature Macron se lit en filigrane: ne pas confronter, ne pas rejeter une France contre l’autre. Sauf que l’électorat de droite et du centre – au sein duquel il a le plus de marge de manœuvre selon les sondages – est très préoccupé par ces sujets. Le candidat Macron devra offrir autre chose et démontrer au fil de sa campagne que la confrontation communautaire vécue par beaucoup de Français comme incontournable peut être évitée. Le voici sur le fil du rasoir sécuritaire.
Pas de programme, la promesse de sa seule personne
Seul sur l’estrade, appelant à la «révolution démocratique tranquille», devant les panneaux ornés de son slogan «En marche!» qui est aussi le nom de son mouvement crée en avril, Emmanuel Macron a en fait confirmé qu’il est, lui-même, son meilleur atout. L’ancien ministre de 38 ans, résolument positionné «contre le système obsolète et clanique» joue à fond la carte de l’adhésion à sa personne, à sa démarche, à sa confiance et, aussi, à son intelligence face aux défis de demain. Il n’a pas de programme. Il n’a que des envies, des références et de l’espérance. Dans une France angoissée, face à un Front national en embuscade et au discours de la colère d’un Nicolas Sarkozy, le pari est audacieux.
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Celui qui, voici peu, revendiquait encore ses «racines de gauche» ressemblait ce mercredi davantage à une combinaison d’un François Bayrou, d’Alain Juppé agrémentée du souci social d’un Michel Rocard… Mais avec 30 ans de moins au compteur et la lucidité de sa génération.
L’aventure de ce candidat hybride
Un candidat hybride, sans doute encore fragile face aux attaques qui vont redoubler en provenance de l’Elysée, de Matignon, de la gauche radicale, du parti socialiste et des candidats de la primaire à droite, dont le premier tour a lieu ce dimanche. Mais au fond, c’est une démarche très française, presque gaullienne, qui voit un homme s’avancer en terrain découvert, prendre le pari de l’avenir – les prochaines échéances présidentielles de 2022, voire de 2027, lui tendent les bras –, et tout risquer sur un coup de dés politique.
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