Empêtré dans les affaires, le patron de Frontex jette l’éponge
Suisse-UE
AbonnéLe Français Fabrice Leggeri va quitter l’agence de gestion des frontières extérieures de l’UE. Des révélations en cascade sur des pratiques de refoulement ainsi que des accusations de mauvaise administration ont eu raison de lui. Une démission qui sera regardée de près en Suisse avant la votation du 15 mai

Il devait rester jusqu’en 2025 mais l’accumulation de révélations sur des pratiques de refoulement de migrants et des enquêtes internes l’impliquant directement l’ont amené à jeter l’éponge. Vendredi, le Français Fabrice Leggeri, le directeur exécutif de Frontex en poste depuis 2015, a présenté sa démission au conseil d’administration de l’agence, qui l’a approuvée. C’est la fin d’une controverse qui dure depuis des mois, de nombreuses ONG ou des élus du Parlement européen ayant demandé sa tête dès 2020.
La commissaire à la Migration, Ylva Johansson, lui avait elle aussi retiré sa confiance même si c’est l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) qui a porté le coup final ces derniers jours.
Chargé depuis plus d’un an d’enquêter sur des cas de mauvaise administration et même de harcèlement au travail, c’est le contenu encore secret du rapport qu’il a finalisé, critiquant son rôle dans ces mauvaises pratiques, qui aurait définitivement décidé le Français, qui fait donc ses valises mais ne subira pas de procédure disciplinaire, pourtant envisagée juste avant son départ.
Confiance ébranlée dans l’agence
Une décision que le Département des finances, qui gère les douanes, «salue». «Cette démission offre l’opportunité de regagner la confiance ébranlée dans l’agence. Il s’est avéré que les mécanismes de surveillance ont fonctionné», a réagi dans la journée une porte-parole. C’est aussi un soulagement pour plusieurs diplomates en poste à Bruxelles. «On ne pouvait qu’espérer cette issue», commentait l’un d’eux vendredi matin.
Au Parlement européen (PE), on attendait aussi ce départ depuis longtemps. «C’est une bonne nouvelle qu’il parte enfin», ont réagi les socialistes. Avec leurs collègues du PE, ils avaient en effet publié un rapport assez accablant en juin dernier. Si les députés n’avaient pas pu prouver directement des participations de Frontex dans des refoulements en mer Egée, entre Grèce et Turquie, ils avaient conclu que l’Agence et son patron n’avaient pas empêché pour autant qu’ils se produisent. Une complicité passive donc, en fermant délibérément les yeux sur les pratiques musclées des gardes-côtes grecs.
Une enquête, cette semaine, du Lighthouse Reports, a enfoncé encore un peu plus l’agence. Selon ce rapport, ce ne sont pas moins de 22 incidents de refoulement entre 2020 et 2021, attribués aux Turcs, qui auraient été observés par Frontex et consignés comme de simples pratiques de «prévention des départs».
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Culture du secret et retards délibérés
Les élus avaient aussi pointé en juin une vraie défaillance: un système interne de rapports des incidents en mer beaucoup trop faible pour pouvoir vérifier les agissements de l’agence. Au-delà de ces complicités passives, c’est le profil même du Français qui dérangeait. L’énarque de 54 ans, passé par le Ministère de l’intérieur français avant de rejoindre Varsovie, n’a pas été le chantre de la transparence. Il a aussi été soupçonné d’avoir personnellement retardé le recrutement d’agents pour les droits fondamentaux qui, en vertu du dernier mandat de Frontex, devaient être au nombre de 40 fin 2020 et ne sont que 20 en ce mois d’avril 2022.
Son comportement à la tête de Frontex et ses recours fréquents à des jets privés ont aussi fait l’objet d’articles de presse. Une coupe bien pleine donc qui a mis la Commission européenne en situation assez inconfortable vendredi, elle qui a dû ces derniers mois intervenir en urgence à chaque nouvelle révélation et assurer que tout était fait pour remédier aux problèmes. «Les personnes passent, les institutions restent», a sobrement commenté le porte-parole Eric Mamer.
L’institution a pourtant en effet fait pression ces derniers mois pour améliorer la gouvernance de cette agence, dotée de plus de 6 milliards d’euros de budget d’ici à 2027 et qui pourra à terme déployer aux frontières un contingent de 10 000 agents. Deux nouveaux «chefs» des droits fondamentaux ont pris en effet leur fonction et sont autorisés à aller inspecter sur place des missions de Frontex. Mais pas encore partout. Bruxelles a aussi promis une meilleure gouvernance politique avec des réunions plus fréquentes entre ministres de l’Intérieur des Etats membres et conseil d’administration de l’Agence.
Un impact sur la votation du 15 mai?
En attendant, si la démission du Français pouvait en effet être vue comme le signal que l’agence peut d’elle-même régler ses dysfonctionnements, comme veut le croire Berne, elle pourrait aussi donner de nouveaux arguments aux tenants du non à la votation du 15 mai en les persuadant qu’il existe bien un problème avec les droits fondamentaux. «La démission du chef de Frontex ainsi que les nouvelles révélations sur les pushbacks illégaux montrent clairement que Frontex est incontrôlable et manque profondément de transparence», a
ainsi réagi le collectif No Frontex. «Fabrice Leggeri n’est pas le seul responsable du fait que Frontex ferme les yeux sur les pushbacks et couvre la violence» et sa démission ne «suffit pas», a-t-il déjà averti.
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