Entre l’Italie et la Commission européenne, l’enlisement garanti
Diplomatie
Les autorités de Rome ont tout intérêt à faire durer le conflit avec la Commission européenne au sujet de leur projet de budget 2019. En alternant colère et déclarations plus apaisantes

Pierre Moscovici n’obtiendra sans doute jamais les excuses qu’il aimerait bien entendre. Vendredi, le commissaire européen chargé des Affaires économiques a de nouveau dénoncé l’attitude de l’eurodéputé italien de la Lega Angelo Ciocca, qui avait écrasé avec sa chaussure la déclaration de l’ancien ministre socialiste français, lors de l’annonce mardi du rejet par la Commission du projet de budget 2019 présenté par Rome.
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«C’est un fasciste»
«C’est un crétin, un provocateur, un fasciste. Son geste est grotesque», a-t-il affirmé sur la chaîne CNews. Avant de tirer le signal d’alarme: «Quand on commence à manier la violence à l’encontre des institutions, quand on commence à piétiner les règles, y compris avec des chaussures, on a une espèce de dérive lente vers ce que l’on appelle la démocratie illibérale, c’est-à-dire le non-respect de la liberté de la presse, la liberté de la justice et des institutions politiques.»
Le calendrier, sur le papier, n’est pas favorable à l’Italie qui a vu vendredi soir l’agence Standard & Poor’s attribuer la note BBA2 sur sa dette souveraine mais assortie d'une perspective «négative», quelques jours après sa dégradation par l’agence concurrente Moody’s. Cette dernière classe désormais les emprunts à long terme de la Péninsule en catégorie Baa3 au lieu de Baa2, soit juste un cran au-dessus de la catégorie «spéculative» réservée aux pays à risques. La dette italienne était jusqu’à ce vendredi notée BBB par Standard & Poor’s (l’Espagne est notée A –, le Portugal BBB, la France AA et l’Allemagne AAA).
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Or qui dit notation sous surveillance, et marchés financiers aux aguets – la bourse de Milan a perdu cette semaine près de 20% et les fameux spreads entre les titres italiens et allemands sont restés à leur plus haut niveau depuis près de six ans à plus de 338 points de base – dit discussion houleuse garantie lors de la prochaine réunion des ministres des Finances de la zone euro le 5 novembre à Bruxelles. Les représentants des 18 autres Etats membres dotés de la monnaie unique se sont mis d’accord cette semaine pour que les discussions sur le budget italien aient lieu malgré tout, alors que Rome aurait souhaité les différer. Ils devraient, en outre, apporter leur soutien à la Commission dans son rejet du projet de budget, que le gouvernement de coalition entre la Lega et le Mouvement 5 étoiles a jusqu’au 13 novembre pour réviser et renvoyer à Bruxelles, dans le cadre du «semestre européen» destiné, depuis 2010, à mieux coordonner les politiques économiques au sein de l’UE.
Menace de sanctions sans effet
Qu’une solution sorte de ces négociations entre grands argentiers est toutefois peu probable. Au moment même d’envoyer leur projet de budget, les deux hommes forts de l’Italie, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, ont répété leur attachement à l’euro. Une position réitérée jeudi à Paris par le ministre des Finances italien, Giovanni Tria, invité du dîner annuel de l’Assurance. Ce dernier a répété la volonté de «dialogue» sans apporter de précisions sur ce que les deux partis au pouvoir accepteraient éventuellement de changer dans ce budget. Et la menace d’éventuelles sanctions financières communautaires est, selon les familiers du dossier, loin de faire trembler les populistes au pouvoir à Rome: «La force de l’alliance Salvini-De Maio est d’avoir un budget qui reflète leurs promesses de campagne, juge un diplomate, contacté par Le Temps. Les Italiens savent aussi que la Commission sermonne plus qu’elle n’agit. Donc, pour l’heure, ils sont politiquement gagnants.»
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L’exécutif communautaire est pour sa part le dos au mur. Côté pile, sa fermeté budgétaire contre Rome, dix ans après l’éclatement de la crise financière, prouve le bon fonctionnement des mécanismes d’alerte mis en place pour éviter de futurs dérapages. Côté face, en revanche, le consensus politique n’est pas si simple à obtenir du côté du Conseil, à savoir les pays membres, pour une possible escalade.
Emmanuel Macron, déjà diabolisé par Salvini sur le dossier des migrants, entend toujours obtenir au sommet des 13 et 14 décembre des décisions sur la réforme de la gouvernance de la zone euro, sur la base de la «feuille de route» avalisée en juin avec Angela Merkel au sommet franco-allemand de Meseberg. Or tout différend avec l’Italie entraînerait à coup sûr un report de ces mesures destinées à parachever l’union bancaire, en particulier avec la mise en place d’un système de garantie commune des dépôts des épargnants européens, et d’un fonds de «résolution» activable d’urgence en cas de nouveau risque de faillite d’une grande banque. Terrible ironie bruxelloise: l’accord de Rome reste indispensable pour mettre en place des mécanismes destinés… à secourir ses banques en cas de séisme financier que les dérapages du budget italien pourraient provoquer.