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Que penser du maintien du premier tour des élections municipales alors que les commerces non essentiels ont tous dû fermer samedi soir en France? Dimanche, la question taraudait les Parisiens de plus en plus convaincus que le confinement généralisé est imminent

La France a basculé dimanche dans l’inconnu. Impossible de ne pas croire que le pays va pouvoir continuer à vivre ainsi, en semi-confinement, après la journée électorale de dimanche à la fois marquée par une participation historiquement faible à 46%, soit 20% de moins qu'en mars 2014, et par la volonté de la population de prendre l’air «une dernière fois».
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A Paris où moins de la moitié des électeurs se sont déplacés, les bois de Vincennes et de Boulogne, poumons verts de la capitale française, ont paradoxalement connu une affluence record. Dernières balades en famille, avec des enfants qui, à partir de lundi, devront rester à la maison compte tenu de la fermeture de toutes les écoles et de tous les lycées de France. Douze millions d'élèves resteront chez eux.
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Sentiment trompeur d’une vie demeurée normale, alors que tous les cafés, restaurants, cinémas, théâtres et lieux publics non essentiels (c’est-à-dire hors commerces alimentaires et pharmacies) ont fermé leurs portes samedi à minuit pour une durée indéterminée…
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Pression des scientifiques
Un basculement? Une incompréhension surtout après l’annonce du passage en «stade 3» épidémiologique samedi soir par le premier ministre, Edouard Philippe. Fallait-il tenir ce scrutin local destiné à remplacer les maires et les conseils municipaux, alors même que le second tour, le 22 mars, pourrait ne pas avoir lieu et entraîner une situation juridique et politique inédite?
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Dès lundi, Emmanuel Macron devra statuer, sur fond de pression de la communauté scientifique à restreindre désormais pour de bon tous les déplacements. «Paris est l’une des capitales les plus denses d’Europe, juge Andrée, retraitée, rencontrée à l’entrée du bureau de vote de la gare de Reuilly, dans le 12e arrondissement. Ce dimanche, ceux qui sont allés voter comme moi ont à coup sûr rencontré des gens contaminés qui ne le savent peut-être pas…»
Le coup d’œil alentour est éloquent. Au marché dominical de l’avenue Daumesnil, tous les stands non alimentaires ont été interdits de déballage. Quelques masques ont fait leur apparition sur les visages. De l’autre côté du boulevard périphérique voisin, le bureau 16 de la commune de Saint-Mandé se félicite d’avoir suivi les régulations du Ministère de l’intérieur. Un bidon de gel hydroalcoolique et des gants en latex accueillent les électeurs. Les papiers d’identité sont juste montrés. Chaque votant signe le registre avec son propre stylo. Et après?
Spectacle étonnant
Jean-Charles travaille dans un café du Trocadéro, à deux pas de l’esplanade de la tour Eiffel. Spectacle étonnant. Tous les cafés affichent porte close. A l’intérieur, les lumières montrent le personnel en train de faire l’inventaire des denrées périssables. Mais les kiosques à journaux sont ouverts et les touristes n’ont pas déserté ce haut lieu de la vie parisienne. Babacar, un vendeur sénégalais de souvenirs, propose à ses clients un peu de gel antiseptique donné par une association caritative, avant de leur vendre ses tours Eiffel miniatures… fabriquées en Chine.
«Tout le monde a peur. On le voit dans leurs yeux. Ils ne rêvent plus», nous raconte-t-il, triste et quand même satisfait que les touristes ne soient pas tous partis. Un couple de Chinois acquiesce. Pour eux, vivre masqué est la normalité. Les Asiatiques, c’est évident, sont les mieux «équipés». Une poignée d’entre eux s’avouent même déçus devant la devanture close d’un grand magasin spécialisé dans les produits de luxe dédouanés. Paris ne se vend plus. L’immense boutique Louis Vuitton des Champs-Elysées a baissé son rideau. La France et ses marques mythiques se laissent juste regarder.
Dans chaque conversation
Paris vit. Paris vote. Mais Paris n’y croit plus. Traverser Paris à l’heure du coronavirus est un périple à la recherche de symboles et d’images. Du côté de la gare d’Austerlitz, des squelettes noircis de scooters et des vitrines brisées témoignent d’ultimes affrontements, samedi après-midi, entre forces de l’ordre et casseurs en embuscade dans la dernière manifestation des «gilets jaunes». Au pied du Ministère des finances, à Bercy, des autocollants jaunes «Mort à la dette», posés dans la nuit par l’extrême gauche, donnent le ton des semaines à venir.
Le coronavirus-Covid 19 est présent dans chaque conversation. La réduction annoncée des transports parisiens, mais aussi du trafic ferroviaire national et la fermeture presque certaine d’une partie des terminaux aéroportuaires de Roissy et Orly témoignent de l’aggravation des contraintes de déplacement que tous jugent imminentes.
Les cadenas des amoureux
Même les murs de la capitale semblent dire l’obscurité sanitaire qui s’annonce. Le Louvre est fermé depuis jeudi. Mais sur sa façade, l’énorme poster de la prochaine exposition Le Corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange (supposée démarrer le 6 mai) nargue les passants. Juste en face, sur l’esplanade du Conseil d’Etat, une sculpture moderne attire notre regard. Il s’agit d’un cabanon de métal, clou de l’exposition Entre nous. Les parois de cette cabane posée sur le goudron, face à la prestigieuse institution judiciaire française? Des cadenas prélevés sur les rives de la Seine et déposés là, naguère, par les amoureux de tous les pays. Tragique raccourci. Paris est cadenassé. Paris est prêt à s’emmurer.