En Espagne, le gouvernement de Mariano Rajoy est sur la sellette
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Le dirigeant du Parti populaire se retrouve pris dans le séisme déclenché par les condamnations pour corruption de certains responsables de la formation politique au pouvoir. Le PSOE a déposé une motion de censure contre le gouvernement

Une motion de censure? Des élections anticipées? Un gouvernement zombie limité à expédier les affaires courantes? La situation de l’exécutif au pouvoir, celui du conservateur Mariano Rajoy, est si critique que tous les scénarios sont désormais envisageables.
Condamnation historique
Le dirigeant du Parti populaire, qui est à la tête du pays depuis 2011, ne sait pas comment affronter le séisme politico-judiciaire qu’a signifié le verdict rendu jeudi soir par les magistrats de l’Audience nationale, l’instance qui à Madrid traite les grandes affaires de corruption: pour la première fois dans l’histoire de la démocratie espagnole, une formation politique – le Parti populaire – a été condamnée pour «corruption institutionnalisée»; dans une sentence sans précédent par sa sévérité, les juges ont estimé qu’entre 1999 et 2005 ce parti a établi des liens structurels avec un réseau de sociétés illégales bénéficiant du trafic d’influence, de la concession irrégulière de services publics et autres transactions illicites. Francisco Correa, le chef de ce réseau, a été condamné à 51 ans de prison; quant à Luis Barcenas, l’ancien trésorier du PP, il devra passer 33 ans derrière les barreaux et rembourser la somme de 44 millions d’euros.
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Certes, à l’époque des faits reprochés, Mariano Rajoy n’était pas à la tête du Parti populaire. Il s’agissait de José Maria Aznar, au pouvoir entre 1996 et 2003. C’est aujourd’hui le principal argument du chef du gouvernement: «Mon exécutif actuel n’est pas concerné par Gürtel», du nom donné à cette affaire de corruption, la plus grave de ces dernières décennies. «Pour autant, analyse Ignacio Escolar, du journal eldiario.es, Rajoy a été désigné par Aznar; il a aussi trempé dans la même culture de l’impunité et de l’argent sale, et, plus grave encore, il a été désavoué par la justice.»
Caisse noire
L’Audience nationale, en effet, met en doute «la crédibilité» de Mariano Rajoy, et d’autres dirigeants de son parti, au vu de ses déclarations de juillet 2017 où il évoquait «des cas isolés de malversations» et niait «l’existence d’une caisse noire» au sein de son parti. Or, à en croire les magistrats, les preuves de cette «Caja B» – une sorte de caisse parallèle et non déclarée au fisc – sont désormais «irréfutables». «Dans n’importe quelle démocratie digne de ce nom, le gouvernement aurait immédiatement démissionné après un verdict aussi accablant, enrage Jesus Maraña, du journal en ligne Infolibre. La justice a dit clairement que la corruption fait partie de l’ADN du Parti populaire. Rajoy ne peut pas continuer à pratiquer la politique de l’autruche indéfiniment.»
Tsunami politique
La condamnation historique contre le Parti populaire et nombre de ses anciens dirigeants – 29 des 37 accusés ont eu au total des peines de prison de 351 années – suppose un tsunami politique. D’autant plus que Mariano Rajoy gouverne en minorité depuis l’an dernier. Hier, le leader socialiste Pedro Sánchez a déposé une motion de censure contre le gouvernement national, estimant que «ce degré de corruption confirmé par les juges est incompatible avec l’exercice du pouvoir suprême».
L’image du parti est écornée à tout jamais, le discrédit est total.
Cette initiative pourrait supposer la chute du gouvernement conservateur, qui vient paradoxalement de boucler le budget annuel, si les centristes libéraux de Ciudadanos (Citoyens), alliés de raison de Mariano Rajoy, acceptaient de s’y rallier. Le leader de Ciudadanos, le très fringant Albert Rivera en qui beaucoup voient le futur «Macron espagnol», préfère, lui, la tenue d’élections anticipées. Une certitude: le chef du gouvernement se trouve dans une situation extrêmement fragile et peut tout au mieux espérer demeurer à la tête de l’exécutif une année de plus. Craintif, Mariano Rajoy a brandi hier l’argument financier: si les socialistes obtiennent sa tête, a-t-il dit, «la récupération économique sera en péril».
«Quoi qu’il en soit, pour le Parti populaire qui, avec les socialistes, a dominé l’Espagne de manière écrasante depuis quatre décennies, plus rien ne sera comme avant, estime le politologue Fernando Vallespin. L’image du parti est écornée à tout jamais, le discrédit est total.»