Un immeuble de bureaux, proche de la Place de la Convention. Emmanuel Macron n’a pas choisi, pour le QG parisien de son mouvement En Marche!, des bureaux ludiques, genre Silicon Valley. Quatrième étage. Passé le filtre de la réception occupée par deux dames quinquagénaires, et le local des deux policiers qui accompagnent désormais partout le candidat à la présidentielle, une enfilade de salles vitrées. La ruche Macron est ordonnée. La cellule chargée des propositions sur la culture reçoit, ce jour-là, une poignée de hauts fonctionnaires influents dans le monde du cinéma et du livre. Objectif: être en ordre de bataille pour le grand meeting de ce samedi à Lyon, au palais de sports de Gerland. Face aux Assises présidentielles convoquées par Marine Le Pen dans la capitale des Gaules…

On reconnaît des visages. Salut rapide. Juste à côté, l’ex-directeur de cabinet d’une jeune ministre du quinquennat dépose sa note au nouveau chef d’état-major chargé du programme Macron: l’économiste Jean Pisani-Ferry. L’ex- «dircab» rase les murs. Il était, voici peu, un assidu de l’Elysée version François Hollande. Il fut, jadis, membre de l’entourage de Dominique Strauss-Kahn. Emmanuel Macron n’a pas besoin de recruter dans la haute administration française, berceau d’origine de cet énarque passé par la banque Rothschild. Les transfuges affluent. Comme cet ex-négociateur culturel de l’actuel gouvernement qui nous affirme en souriant, mais discrètement: «Je cours pour être En Marche!»

«Quelques mesures clés»

Le programme Macron est le talon d’Achille du candidat centriste devenu central dans cette imprévisible présidentielle. Propositions encore confuses. Manque d’un document de référence. Absence de chiffrage budgétaire, promis pour la fin février. Un handicap? «Non, riposte le tout nouveau coordinateur numérique d’En Marche! Mounir Mahjoubi. Notre objectif est d’être le plus flexible possible, d’afficher quelques mesures clés et surtout de lancer le débat autour, d’examiner les réactions. Notre vision de la politique n’est pas verticale, mais horizontale.»

Une porte s’ouvre. Dans le local des communicants, un compteur est fixé au mur. Il marque ce jour-là 168 672 adhérents pour le mouvement. Un autre compteur, pas visible, recense le nombre des candidatures aux législatives déposées via Internet. Le candidat vient de regretter, en direct sur FacebookLive, la présence de moins de 20% de femmes. Tout est noté, disséqué, compilé, trié. Les médias sociaux sont les béquilles des «marcheurs». Exemple: la proposition Macron de transformer l’impôt sur la fortune en taxe sur la rente immobilière fait le buzz. L’origine des internautes, signalée par des balises sur la carte, pointe la région genevoise et la frontière belge. Les riches Français de l’étranger sont à l’affût.

Barre à gauche et cap à droite

L’intéressé a prévenu ses experts réunis cette semaine passée à Paris. Ses propositions, qu’il s’est engagé à rendre public début mars, doivent refléter son ancrage social, et sa volonté de lutter contre les «inégalités d’accès». Barre à gauche et cap à droite. Les 21 et 28 janvier, le patron social Jean-Marc Borello, rallié à En Marche! était sur les bords du Léman, à Lausanne et Genève. Moisson de contacts. Récriminations de Français exilés. Les économistes chargés de chiffrer les futures mesures pour les entreprises planchent déjà.

Auteur de La révolution fiscale (Ed. Odile Jacob), Yves Jacquin-Depeyre salue ce réalisme, alors que le candidat de la droite François Fillon mise, lui, sur une brusque rupture libérale: «Macron est prudent. Il anticipe une baisse du rendement de l’ISF [Impôt de solidarité sur la fortune]. Je suis pour ma part convaincu que cette baisse sera très vite compensée. Si l’ISF devient intelligent dans un contexte fiscal stabilisé, le retour des fortunes sera tel que la perte initiale de recettes sera vite compensée.»

Destin de «présidentiable»

Et le reste du programme? Les détracteurs d’Emmanuel Macron n’ont pas tort quand ils moquent son obsession de la communication. Chaque mesure, chaque pas vers les futures propositions pour la France de l’auteur de Révolution (Ed XO) sont mises en scène. «Sauf que ceux qui nous critiquent oublient une chose: notre capacité d’écoute et de dialogue. Nos discussions ne sont pas que de la com. 700 000 vues sur Facebook quand Emmanuel s’adresse aux futures candidates, c’est aussi la preuve que ses mots percutent», complète Mounir Mahjoubi, vétéran des campagnes présidentielles de Ségolène Royal et de François Hollande.

Un communicant, justement, gesticule. Urgence. La nouvelle porte-parole d’En marche!, l’ex-journaliste Laurence Haïm est en mode crise. Emmanuel Macron est attaqué pour ses frais de bouche lorsqu’il était ministre de l’Economie: 120 000 euros sur un budget annuel de 150 000, dépensés durant les six premiers mois de 2016. Des frais utilisés pour forcer son destin de «présidentiable», avant sa démission du gouvernement? «Pour l’heure, seule l’opposition de droite nous accuse, rassure un volontaire. Emmanuel a été un ministre de l’Economie au travail, très exposé. Qui peut le nier?» Même pas peur du «Macrongate».


Marine Le Pen, le tremplin présidentiel

C’est en position de force que Marine Le Pen ouvrira ce samedi ses Assises présidentielles au Palais des congrès de Lyon, avant d’y prononcer dimanche le discours de lancement officiel de sa campagne pour l’Elysée.

La présidente du Front national, entourée de tous les cadres de son parti, entend démontrer qu’elle peut cette fois briser le plafond de verre électoral qui a toujours empêché l’extrême droite de l’emporter, y compris au niveau des régions. Les sondages lui accordent 27% des voix au premier tour, juste en dessous des 28% du FN aux régionales de décembre 2015. Une défaite au second tour le 7 mai demeure toutefois programmée d’après les enquêtes d’opinion, quel que soit son adversaire: François Fillon ou Emmanuel Macron.

La force de la candidate du FN est de profiter de la débâcle de la droite empêtrée dans le «Penelopegate», de la compétition renouvelée à gauche entre le socialiste Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, de la déferlante venue d’outre-Atlantique avec la victoire de Donald Trump et de l’effet provoqué par le Brexit.

(R.W.)


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