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Face à Ankara, l’UE adopte une fermeté mesurée

Malgré des ressentis différents, les Vingt-Sept sont parvenus dans la nuit de jeudi à vendredi à acter le principe de sanctions contre la Turquie pour prévenir l’escalade en Méditerranée orientale

Mevlut Cavusoglu, ministre turc des Affaires étrangères: «Avec ces menaces, l’UE ne va nulle part». — © Alessandro Di Meo/AP
Mevlut Cavusoglu, ministre turc des Affaires étrangères: «Avec ces menaces, l’UE ne va nulle part». — © Alessandro Di Meo/AP

Neuf heures de débat pour accoucher d’un texte qui ne mentionne pas le mot «sanctions» mais en acte la possibilité si le comportement de la Turquie ne change pas.

Jeudi soir à Bruxelles et jusqu’à une heure avancée de la nuit, les Vingt-Sept ont eu bien du mal à formuler un message de fermeté au président turc Recep Tayyip Erdogan, ce partenaire avec lequel les relations ont regagné en tension depuis l’été mais que tous ne veulent pas «punir» de la même manière.

Ankara de marbre

Mis au défi par Chypre de menacer clairement Ankara de représailles si ses actions de forage gazier et pétrolier dans les eaux chypriotes (et grecques) devaient reprendre, les dirigeants européens ont fait un premier pas en ce sens: tous «les instruments et outils» sont donc désormais sur la table pour répondre aux provocations, en l’occurrence une panoplie de sanctions prévues par le traité, comme la réduction de la coopération économique. Le président turc a été appelé à se garder de toute nouvelle aventure sous peine de s’y exposer en décembre quand les Vingt-Sept referont le point sur le dossier.

Un avertissement qui n’a pas ébranlé Ankara et son ministre des Affaires étrangères. Avec ces menaces, l’UE ne va «nulle part», a réagi aussitôt Mevlut Cavusoglu.

Ce message n’a pourtant pas été aisé à formuler, tant les Etats membres continuent de nourrir des sentiments ambigus face à leur partenaire, entre partisans de la riposte et défenseurs du dialogue. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a assuré que cette boîte à outils de sanctions serait prête en décembre si besoin, avant d’ajouter qu’elle ne souhaitait pas en arriver là.

Un exercice compliqué

Il s’est agi d’entendre la demande de la Grèce de préserver le dialogue naissant avec la Turquie tout en gardant à l’esprit que des contacts de désescalade n’existent pas encore avec Chypre; et de prendre en compte l’ambition de Paris de faire un lien avec les événements au Haut-Karabakh, où Ankara est accusé de faire venir des combattants syriens, tout en tenant compte de la volonté de Berlin de ménager un allié historique… et sa diaspora turque.

L’exercice a été encore compliqué par la menace de veto de Nicosie sur les sanctions contre la Biélorussie si le langage envers Ankara n’était pas suffisamment musclé, l’unanimité étant la règle en matière de politique étrangère.

C’est donc la référence à un calendrier strict (une décision est promise en décembre) qui a permis de rallier Chypre et de débloquer les sanctions envers 44 responsables biélorusses, à l’exception notable du premier d’entre eux, le président Alexandre Loukachenko.

«La carotte et le bâton»

Au final? Un texte de compromis qui ménage les exigences des Vingt-Sept et a le mérite «de constituer le premier message structuré de l’UE envers la Turquie», selon un diplomate, alors que l’ensemble ne s’exprimait jusqu’ici que par bribes, sur les entreprises de forages en mer, sur la migration et sur la Syrie.

Pour une fois, l’UE s’est donc mise d’accord sur une approche globale qui «propose à la fois la carotte et le bâton», se félicite le diplomate. Car, à côté des condamnations des agissements turcs en Méditerranée orientale, les Vingt-Sept ont aussi voulu offrir à Ankara un agenda positif, «une fenêtre d’opportunité», comme l’a dit Angela Merkel vendredi midi.

Les Vingt-Sept veulent en effet plus que tout une bonne relation avec la Turquie. «C’est notre voisin et elle est membre de l’OTAN», a rappelé la chancelière. Jeudi soir, l’UE s’est donc aussi engagée, en échange de la désescalade avec Nicosie et Athènes, à relancer ses efforts pour moderniser l’union douanière avec la Turquie, renforcer les échanges entre responsables politiques ainsi que le partenariat sur la migration: la Turquie a en effet souvent déploré que les Vingt-Sept ne lui donnent pas l’argent promis pour abriter les réfugiés dans ses camps.

Le sujet d’une nouvelle enveloppe n’a toutefois pas été discuté jeudi, mais la dépendance évidente de l’UE sur la question migratoire «ne nous a pas empêchés d’agir et de parler de sanctions. Et ça, c’est nouveau», assure encore ce diplomate.