Face au Covid-19, une France inquiète avant les élections municipales
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Les élections municipales des 15 et 22 mars seront l’occasion de rassemblements. La décision du gouvernement de les maintenir inquiète, alors que la décision d'interdire les manifestations de plus de mille personnes a été prise dimanche soir.

La question ne se pose pas. C’est du moins l’avis du gouvernement français qui, depuis dix jours, ne cesse de répéter que les élections municipales des 15 et 22 mars ne seront pas reportées malgré l’épidémie de Coronavirus/Covid-19 qui se propage. Dimanche soir, la France a désormais passé la barre du millier de personnes contaminées au coronavirus. 1.126 cas sont confirmés. Neuf personnes sont décédées. Face à ces nouveaux chiffres, le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé l'interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes. Plusieurs départements – dont deux frontaliers de la Suisse (le Haut-Rhin et la Haute-Savoie) – sont considérés comme des «clusters épidémiques» en raison de la proportion de malades et se trouvent en état d’urgence sanitaire. Est-il, dans ces conditions, raisonnable de tenir ce scrutin toujours couronné par un taux de participation élevé d’environ 70%, dans les 35 000 communes de France? Eléments de réponse.
L’épidémie de Covid-19 atteint-elle, en France, le stade de l’urgence sanitaire nationale?
Depuis vendredi 6 mars, la France est en stade 2 sur 3 en termes d’alerte épidémiologique. Cela n’avait pas encore changé dimanche alors que le pays comptait, samedi soir lors du point de presse quotidien du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, 949 cas confirmés de personnes infectées et 16 décès, soit une augmentation de 334 cas en vingt-quatre heures. Le stade 3, qui durera de huit à douze semaines s’il est déclaré, imposerait des mesures beaucoup plus strictes que l’interdiction actuelle de rassemblements au-delà de 5000 personnes, et parmi la communauté scientifique, l’avis majoritaire est qu’il va être déclenché, vu l’aggravation de la situation en Italie et le chaos sanitaire qui prévaut dans la péninsule voisine.
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L’urgence sanitaire est en revanche déjà une réalité dans les trois départements abritant le plus de cas – Haut-Rhin, Oise et Morbihan – à la suite de la propagation de l’infection après une double contamination. A Creil, dans l’Oise, l’infection semble avoir été propagée par des militaires ayant participé à l’évacuation aérienne en février (trois vols) des ressortissants français et européens à Wuhan, épicentre de l’épidémie en Chine. Dans le Haut-Rhin et dans le Morbihan, l’infection semble avoir été propagée par des personnes ayant participé, du 17 au 24 février, au rassemblement de l’église évangélique Porte ouverte chrétienne à Mulhouse.
Ce rassemblement avait réuni plus de 2000 fidèles qui se sont ensuite disséminés dans toute la France et en outre-mer, en particulier dans le département de la Guyane. Il est aussi à l’origine de la contamination de plusieurs personnes dans une commune de Haute-Savoie, La Balme-de-Sillingy, dont des administrés avaient participé à la réunion de Mulhouse. Conséquence dans l’Oise, le Haut-Rhin et en partie dans le Morbihan: les crèches, maternelles, écoles, collèges et lycées seront fermés à compter de lundi matin, et pour quinze jours. Les écoles de la Haute-Savoie ne sont en revanche pas fermées.
Plusieurs événements sportifs ont été annulés ce week-end. A Paris, le Salon mondial du tourisme, qui devait se tenir du 12 au 15 mars, a été annulé. Idem pour le salon du livre prévu du 20 au 23 mars. L’interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes (au lieu de 5000 jusque-là) décidée dimanche soir élève encore plus le niveau d'alerte. Ce dimanche, le match de rugby France-Ecosse avait été maintenu, et France-Irlande le 14 mars, l'est aussi pour le moment.
La carte des contaminations par région, au dimanche 8 mars, est disponible ici sur le site de la radio publique France Bleue.
Pourquoi poser la question des élections municipales?
Le scrutin organisé les 15 et 22 mars dans les 35 000 communes de France est, avec l’élection présidentielle, le moment démocratique le plus suivi en France avec une participation d’environ 65-70% en moyenne. En février 2020, date de clôture des inscriptions sur les listes électorales, 47,7 millions d’électeurs étaient susceptibles de se rendre aux urnes ces deux jours, la plupart du temps dans des écoles ou dans des salles communales transformées en bureaux de vote. Des centaines de milliers de personnes et d’assesseurs (pour observer la légalité des opérations) doivent, en outre, encadrer le scrutin et, en règle générale, de nombreux retraités et personnes âgées figurent parmi eux. Or ces derniers sont les cibles les plus vulnérables au virus. Une question de santé publique est donc bel et bien posée, même si les rassemblements n’excèdent pas, à un moment donné, plusieurs centaines de personnes tout au plus.
La seconde question posée est politique. Si des reports partiels, dans les zones touchées par le virus, doivent être décidés, le vote ne sera plus national et cela posera immanquablement des questions qui pourraient, ensuite, faire l’objet de recours. La participation au scrutin est également en cause, vu l’inquiétude ambiante distillée par l’état de la contamination au niveau national. La campagne électorale, enfin, s’est déroulée ces dernières semaines dans des conditions problématiques. De nombreux meetings électoraux ont été annulés, en particulier dans les grandes villes. La «prime au sortant», qui avantage les élus de la précédente législature qui se représentent, est dès lors accrue. Cela pose question.
Le gouvernement, comptable de la santé publique, a bien sûr basé sa décision de maintenir jusque-là le scrutin sur des considérations très sérieuses. L’un des obstacles, par exemple, était de nature législative puisqu’il aurait fallu faire voter une loi par le parlement pour reporter le scrutin, et que cela aurait ensuite entraîné des reports en cascade, notamment celui des élections sénatoriales prévues en septembre (les sénateurs français sont élus, entre autres, par les maires, leurs adjoints et une partie des conseillers municipaux dans les départements). N’empêche: tenir des élections municipales dans ce contexte interroge, sur le plan sanitaire comme politique. Compte tenu, en plus, de la pénurie de masques respiratoires de protection et de gel antiseptique…
La France maîtrise-t-elle la situation sanitaire?
Lors de ses points de presse quotidiens, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, se veut rassurant, comparant le nombre de contaminations au coronavirus à celui bien plus important, chaque année, de contamination par la grippe, laquelle fait 10 000 morts par an selon les chiffres officiels! Une triple question se pose en revanche:
– La première question est celle des mesures prises et du retard constaté dans la préparation de stocks adéquats de gel/solution antiseptique ou de masques de protection. Le gouvernement a annoncé mercredi 4 mars, par décret, que les stocks de masques de type FFP2 et anti-projections seront réquisitionnés jusqu’au 31 mai 2020. Un autre décret a été pris vendredi 6 mars pour encadrer les prix de vente des gels hydroalcooliques, dont l’utilisation est recommandée pour éviter une contamination par le nouveau coronavirus. Il s’applique également jusqu’au 31 mai et limite à 3 euros les 100 ml le prix des gels hydroalcooliques destinés à l’hygiène corporelle (2 euros les flacons de 50 ml, 3 euros les 100 ml, 5 euros les 300 ml et 15 euros le litre). Est-ce suffisant?
– La deuxième question, qui ne dépend pas du gouvernement, est celle des habitudes. Ne plus se serrer la main. Ne plus échanger de bises. Tous ces changements vont prendre du temps à entrer dans les mœurs. D’ores et déjà, sur un autre plan, des mesures drastiques ont été prises. Les autorités déconseillent depuis vendredi 6 mars aux mineurs de moins de 15 ans de rendre visite aux personnes âgées. De nombreuses maisons de retraite sont fermées aux visiteurs. Les hôpitaux préconisent aussi de limiter les visites à une personne majeure et en bonne santé par patient dans tous les établissements de santé, y compris les maternités.
– La troisième question est celle des hôpitaux dans un pays où le système hospitalier est en crise et où les grèves se sont multipliées ces derniers mois, obligeant le gouvernement à débloquer en urgence 700 millions d’euros, après avoir annoncé la reprise par l’Etat de 10 milliards d’euros de dette des hôpitaux publics. Les services de santé français ont deux plans face à l’épidémie: le «plan blanc» (activé) est un dispositif de crise dont doivent être dotés tous les établissements de santé, hôpitaux ou cliniques. Il leur permet notamment «de mobiliser immédiatement les moyens de toute nature dont il dispose en cas d’afflux de patients, ou pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle», détaille le ministère de la Santé sur son site internet. Le plan bleu, lui, a été élaboré à la suite de la canicule de 2003 et concerne les établissements médicosociaux et les Ehpad (maisons de retraite). Il consiste à mettre en place, sous le contrôle du chef d’établissement, un plan de gestion de crise destiné à protéger les patients et limiter la propagation du virus.