Y aura-t-il une nouvelle «guerre d’août» entre l’Ukraine et la Russie, alors que cette dernière a accusé les autorités de Kiev d’avoir mené des «opérations terroristes» sur l’isthme de Crimée? L’escalade entre les deux pays inquiète, en effet, mais derrière ce nouvel accrochage diplomatique et militaire, c’est plutôt aux Etats-Unis et à l’OTAN que Moscou vient d’adresser un message très ferme, en officialisant l’installation d’un bouclier antimissile en Crimée.

Saura-t-on un jour ce qui s’est réellement passé à Armyansk, en Crimée, du 6 au 8 août. C’est peu probable, tant un flou informationnel entoure les circonstances des incidents qui auraient opposé les forces russes à des «saboteurs» ukrainiens, expédiés par le renseignement militaire de Kiev pour s’en prendre à des infrastructures de la péninsule. Mission kamikaze ukrainienne ou «opération psychologique» montée par le FSB russe?

«Diversion politique»

Du côté des autorités ukrainiennes, on avance l’hypothèse d’une «diversion politique», avant les élections législatives russes, le 18 septembre prochain, qui se tiendront pour la première fois en Crimée: «Les Russes n’ont pas donné de suite à leurs déclarations, ajoute une source militaire, à Kiev. Ils ont avancé avoir subi un tir d’artillerie ukrainien, mais n’ont rien prouvé sur le calibre utilisé, des fragments ou l’existence d’un cratère.»

Peu importe, pour le premier ministre russe Dmitri Medvedev, il s’agit là d’un «crime contre la Russie et le peuple russe», contre lequel Vladimir Poutine a promis de prendre de sévères mesures de rétorsion. Alors que Petro Porochenko a mis son armée en alerte maximale dans les territoires sud de l’Ukraine, le Kremlin a dégainé vendredi dernier en annonçant le déploiement en Crimée d’un système de défense antimissile et anti-aérien, de type S-400 Triumph.

Pour se défendre de l’Ukraine? Pas forcément. «Moscou ne voit pas Kiev comme un acteur indépendant», estime Mark Galeotti, chercheur associé à l’Institut des relations internationales de Prague, spécialiste de la Russie. «L’objectif de la manœuvre est d’empêcher l’OTAN d’utiliser des missiles sol-air dans certaines zones, commente-t-il, la Russie reproduit dans la mer Noire le schéma plus au nord des Pays baltes.»

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Les S-400 sont une des armes les plus sophistiquées de l’arsenal russe. Ils permettent d’intercepter tout tir ou incursion aérienne dans un rayon de 400 km. Or, les Américains disposent d’une base de l’OTAN dans le port de Constanta, en Roumanie, à 390 km de la Crimée. C’est la première fois que dans le bassin de la mer Noire les deux puissances sont ainsi au contact, avec sans doute l’accord tacite de la Turquie, membre de l’OTAN et autre puissance régionale.

L’hypothèse d’une guerre ouverte entre la Russie et l’Ukraine est peu probable. «Kiev prédit une offensive majeure toutes les deux semaines depuis deux ans», rappelle ainsi Mark Galeotti, pour qui «la fenêtre de tir pour une telle initiative russe est passée il y a deux ans, au moment où l’armée ukrainienne était très faible, alors qu’aujourd’hui elle s’est considérablement renforcée et présente une réponse militaire défensive assez efficace».

«Sphère d’influence»

Selon le chercheur, «Poutine n’a pas l’intention de recréer un empire, mais de reconstituer une sphère d’influence, dont l’Ukraine ferait partie, tout en repoussant toute influence étrangère de la région». L’installation d’un bouclier antimissile en Crimée aurait pour conséquence immédiate de vitrifier la péninsule, rendant tout retour dans le giron ukrainien illusoire.

Seulement, les deux fronts ukrainiens (Crimée et Donbass) sont devenus de nouveau très volatils à l’approche du 25e anniversaire de l’indépendance ukrainienne le 24 août. «Il est peu probable qu’une offensive russe ait lieu au sud. Pour cela il faudrait que leur armée mobilise au sol trois à quatre fois plus d’hommes que les nôtres», indique au Temps une source sécuritaire de haut-niveau à Kiev.

«Mais tout ce qui se passe en Crimée a des répercussions dans le Donbass», poursuit cette source. Ces derniers jours, les ruptures du cessez-le-feu se sont multipliées, notamment par des tirs ukrainiens sur des véhicules d’infanterie de combat séparatistes, dont la circulation sur les routes du Donbass aurait considérablement augmenté, signe d’une activité logistique inhabituelle.

Néanmoins, pour Mark Galeotti, «il n’y a pas de réel objectif stratégique dans la zone de guerre ukrainienne. La stratégie russe est de faire de la politique par le biais militaire. Et il suffit alors de donner un peu plus de puissance de feu aux séparatistes, de nouveaux jouets, pour créer des tensions et des peurs à Kiev, et bien au-delà.»