Euro 2016
L'accueil des supporters dans les grandes métropoles françaises, et surtout à Paris, inquiète les forces de sécurité, épuisées par l'état d'urgence et les manifestations

Son intervention devant les députés français est passée presque inaperçue. Et pourtant: auditionné le 10 mai par la Commission de la défense de l'Assemblée nationale, le directeur des services de renseignement Patrick Calvar a de nouveau tiré le signal d'alarme. La France reste selon lui «le pays le plus menacé par l'Etat islamique», dont les combattants privilégieraient désormais «une campagne caractérisée par le dépôt d'engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante».
Un constat alarmant, alors que l'Euro de football s'ouvre ce vendredi 10 juin. Et un constat dont le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a tiré les conséquences. Dans une lettre au ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve datée du 26 mai, le plus haut responsable des forces de l'ordre dans la capitale française a notamment préconisé, les jours de match au Parc des Princes ou à Saint Denis, la fermeture de la fan zone parisienne la plus exposée: celle du Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel, capable d'accueillir jusqu'à 90 000 supporters pour regarder les matches sur écran géant, consommer boissons et nourriture et profiter d'une série d'attractions. L'autre fan zone parisienne se trouvera sur l'esplanade de l’Hôtel de Ville.
Un appel pas écouté
Cet appel, jusque-là, n'a pas été suivi d'effets. Pour l'heure, le gouvernement et la mairie de Paris campent sur leur volonté d'organiser, malgré le maintien de l'état d'urgence, un Eurofoot le plus festif possible. Dans une France en proie au marasme, l'apport économique de la compétition évalué à environ 1,3 milliards d'euros pour le secteur touristique en berne, et l'impact sur l'image de l'hexagone à l'étranger, justifient de prendre des risques.
Sauf que ces chiffres hypothétiques passent mal du côté des forces de l'ordre, mobilisées sans relâche depuis les attentats parisiens du 13 novembre et au fil des manifestations sociales qui enflamment le pays depuis trois mois à Paris et en province. Les syndicats de policiers brandissent en effet d'autres statistiques: celle des sept millions de supporters étrangers attendus pour l'Eurofoot, en sus des 2,5 millions de spectateurs déjà munis de billets.
77 000 policiers, 15 000 agents de sécurité et 10 000 soldats mobilisés
En 1984, lorsque la France avait déjà accueilli cette compétition – remportée par les «Bleus» de Michel Platini – huit équipes seulement participaient. Or le chiffre est passé à 16 en 1996, puis à 24 depuis 2012. Résultat: 51 matches se dérouleront dans dix villes – Saint-Denis, Paris, Toulouse, Nice, Marseille, Bordeaux, Lens, Lille, Saint Etienne et Lyon –, avec 77 000 policiers, 15 000 agents de sécurité et 10 000 soldats mobilisés au niveau national. Avec, pour les fan zones, une complication institutionnelle, car celles-ci relèvent des collectivités locales, chargées de les sécuriser: «La question, au-delà du maintien des fans zones, est aussi celle de leur attractivité dans le climat actuel», reconnaît-on à la Mairie de Paris. «Plus les contrôles d’accès seront lourds, plus les supporters énervés risquent de se répartir autour des sites et de compliquer la tâche des forces de l'ordre.»
Le site du Champ-de-Mars, face au Trocadéro et très proche des Champs-Elysées, est sur ce plan jugé le plus sensible, surtout lorsque des matches à «haute tension» se dérouleront au Parc des princes (5 matches, dont Suisse-Roumanie le 15 juin) ou au Stade de France (7 rencontres). Les fan-zones de Saint-Denis (au parc de la légion d'honneur), de Lille (entre les gares de Lille-Flandres et Lille-Europe) et de Marseille (dans le quartier du Prado et sur le Vieux-Port) sont aussi dans le collimateur.
Des hooligans au terrorisme
Plus généralement, la sécurité des stades, sur lesquels plane le cauchemar des attentats du 13 novembre, s'annonce très serrée. Lors de la Coupe du monde de 1998 remportée par la France, plusieurs affrontements avec des hooligans avaient dégénéré, notamment à Lens où un gendarme avait été sauvagement agressé. Le principal défi, cette fois, concernera d'éventuels actes terroristes.
Ainsi, seules les personnes munies de billets pourront pénétrer, après avoir été fouillées, dans l'enceinte extérieure des stades, située à un kilomètre des complexes sportifs. La sécurité à l'intérieur des stades, des complexes d'entraînement et des camps de base (à Montpellier pour la Nati) est en revanche du ressort de l'UEFA et de la Fédération française de football. L'ensemble du dispositif est coordonné par deux préfets: Jacques Lambert, président d'Eurofoot 2016 SAS chargée de l'organisation du tournoi, et Ziad Khoury, spécialement en charge de la sécurité. Ce dernier était auparavant responsable des affaires intérieures à la mission permanente de la France à Bruxelles (2009-2013), chargé de la coordination avec les services de sécurité et de renseignement de l'Union européenne.
A Saint-Denis, un «mur de la honte»
Le cas de Saint-Denis est emblématique des problèmes à venir. Depuis la mi-mai, une grille de 2,40 mètres, surnommée le «mur de la honte» par les commerçants et les riverains, a été érigée autour du stade où se déroulera vendredi le match d'ouverture France-Roumanie, puis bien sûr la finale du 10 juillet. Or le 21 mai, lors de la finale de la coupe de France Marseille-PSG, remportée par les Parisiens, le fiasco sécuritaire a été évité de peu. Cohue difficile à maitriser, effets de foule, multiples incidents à la sortie...
«L'idée d'origine des fans zones, qui est de concentrer les spectateurs non munis de billets loin des stades et sous haute sécurité, engendre un autre problème», explique un élu de Saint-Denis. «Que va-t-il se passer si beaucoup de supporters délaissent ces endroits pour sillonner Paris et les grandes villes? On a, de fait, créé des abcès sécuritaires.»