Faux départ du premier ministre slovaque
Europe centrale
Après le choc provoqué par le meurtre d’un journaliste et de sa fiancée fin février, Robert Fico a démissionné jeudi. Mais il entend bien rester aux manettes

Le dernier article du journaliste d’investigation assassiné Jan Kuciak – inachevé mais quand même publié post mortem – a révélé des liens entre des personnalités très proches du premier ministre slovaque Robert Fico et des hommes d’affaires italiens, membres présumés de la mafia calabraise’Ndrangheta, qui s’étaient spécialisés dans la fraude aux subventions européennes dans l’Est de la Slovaquie. Le chef du gouvernement a d’abord fait démissionner ses conseillers mis en cause – un ancien député et une ancienne mannequin –, puis son ministre de l’Intérieur. Mais moins d’une semaine après la grande manifestation qui a réuni plusieurs dizaines milliers de mécontents à Bratislava, il a décidé jeudi de présenter sa démission.
La menace de plonger le pays dans le chaos
Le choc provoqué par le double homicide a secoué la population slovaque, dont une partie était déjà échaudée par les sandales de corruption qui ont terni à plusieurs reprises l’image de ses responsables politiques. «En cas d’alternance du pouvoir il n’est pas exclu qu’avec des changements dans les hiérarchies policière et judiciaire, le parti SMER (social-démocratie) de Robert Fico ait maille à partir avec la justice», indique le chercheur slovaque Vladimir Bartovic, directeur du think tank Europeum.
Mais d’alternance politique, Robert Fico n’en veut pas, quitte à menacer le pays «de plonger dans le chaos si l’opposition prend le pouvoir». Pour éviter des élections anticipées, il a donc décidé de passer le relais à son ancien vice-premier ministre, Peter Pellegrini, promu nouveau chef de la coalition gouvernementale que SMER a constitué avec un parti libéral (Most) et un parti d’extrême droite (SNS).
Voici donc la Slovaquie bien partie sur la voie d’un «modèle polonais» dans lequel Robert Fico, à l’instar du voisin Jaroslaw Kaczynski, pourra rester aux manettes et continuer de présider la formation politique qu’il a fondée en 1999. A 53 ans, Robert Fico n’est pas du genre à lâcher facilement le pouvoir qu’il a conservé en n’hésitant pas à gouverner avec les nationalistes ou à faire campagne sur des thématiques xénophobes pendant la crise migratoire.
Quand la presse révélait des affaires de corruption au sommet de l’Etat, le premier ministre n’hésitait pas à injurier les journalistes, les traitant même de «sales prostituées anti-slovaques». L’organisation Reporters sans frontières lui a récemment demandé, en vain, de s’excuser.
Le verrouillage des secteurs clés du pays
Pour le chercheur slovaque spécialiste des questions internationales Milan Nic, Robert Fico a longtemps bénéficié d’une certaine indulgence au niveau européen et «le verrouillage des secteurs clés du pays par son parti a été ignoré, parce qu’en comparaison avec ses voisins hongrois ou polonais, la Slovaquie faisait figure de bon élève, membre de l’eurozone dès 2009».
Pourtant, à Bruxelles les dents commencent sérieusement à grincer, d’autant que le virulent Slovaque à la carrure de boxeur ne s’interdit plus de crier au complot international fomenté contre son gouvernement par le président de la République Andrej Kiska et des éléments extérieurs, dont George Soros, le milliardaire américain – déjà cible privilégiée de la démocratie illibérale prônée par le premier ministre hongrois eurosceptique Viktor Orban.
Ce sont en tout cas des euros – un million en petites coupures – que Fico a exhibés devant les caméras après le meurtre de Jan Kuciak, en guise de récompense pour toute information sur les auteurs ou commanditaires. L’enquête policière, hormis la brève interpellation de sept ressortissants italiens, n’a pour l’instant rien donné. «La criminalité mafieuse n’est pas un problème qu’en Europe centrale et orientale, souligne Milan Nic. Mais les institutions démocratiques et les partis politiques y sont plus jeunes et donc plus fragiles, ce qui peut rendre la région attractive pour des clans à la recherche de nouvelles rentrées financières.»