Ferme soutien aux plans de l’ONU en Libye
Crise
La conférence de Palerme a été présentée comme un succès par son hôte italien. Mais les divisions restent nombreuses, à l’interne comme à l’externe

La conférence de Palerme pour la Libye a risqué la sortie de route. Le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, a imposé son agenda au détriment des autres acteurs libyens et internationaux. Mais sans empêcher le soutien des participants au plan promu par les Nations unies dans le but de résoudre la crise en Libye, plongée dans le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi, fin 2011.
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L’Italie, dirigée par la Ligue (extrême droite) et le Mouvement 5 étoiles (anti-système), conduisait dans la capitale sicilienne lundi et mardi sa plus importante initiative de politique étrangère depuis l’arrivée au pouvoir du nouvel exécutif en juin. Elle a toutefois fait preuve d’amateurisme dans la préparation et le déroulé de la conférence, révèlent plusieurs sources. Mais aussi de «bonne volonté». Elle a en effet réussi à réunir autour de la même table les représentants politiques et militaires de son ancienne colonie et les principaux acteurs internationaux impliqués dans le dossier. La Suisse était également présente.
Des obstacles majeurs
Lors d’une conférence de presse commune, l’Italie et l’ONU ont présenté le rendez-vous palermitain comme un succès. Il s’agit de la conférence «où j’ai vu la plus grande unité de la communauté internationale autour de notre action, a lancé Ghassan Salamé, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye. Il est maintenant temps que les Libyens prennent leur destin en main.» «Une forte cohésion internationale pour poursuivre le processus politique et sécuritaire, et appuyer les réformes économiques a émergé» à Palerme, s’est réjoui le premier ministre italien, Giuseppe Conte, revendiquant un rôle de médiateur.
Le plan onusien prévoit des élections parlementaires et présidentielle au printemps prochain. Mais elles ne pourront pas avoir lieu sans stabilité. La reprise des violences à Tripoli cet été, mais aussi la fragmentation du paysage politique entre deux parlements et celle du système sécuritaire entre différentes milices, empêchent le processus d’avancer. La prochaine étape doit donc être le «renforcement du cessez-le-feu à Tripoli, selon Ghassan Salamé, avant qu’il ne soit étendu à d’autres villes». Suivra l’organisation d’un congrès national réunissant politiques, communautés locales et société civile libyenne. L’organisation «de cette conférence prévue dans les premières semaines de l’année prochaine a été rendue plus simple par cette réunion [à Palerme]», a ajouté l’envoyé spécial.
Unir toutes les parties libyennes est la seule route à suivre
Tommaso Baris, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Palerme
L’action des Nations unies tourne autour de trois axes: politique, économique et sécuritaire. Des réformes doivent être adoptées pour «améliorer les conditions de vie de la population libyenne, en faisant face à la crise de liquidité du pays et à l’augmentation des prix des biens de consommation, mais aussi pour soustraire du terrain aux milices qui prospèrent sur l’économie parallèle», analyse l’Institut italien pour les études de politique internationale. L’hypothèse de la réunification des institutions financières est étudiée. Sur le plan sécuritaire, les Nations unies visent à un désarmement des milices afin de créer une unique armée professionnelle. «Unir toutes les parties libyennes est la seule route à suivre», explique Tommaso Baris, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Palerme, jugeant le plan onusien crédible. Mais le coup de force diplomatique du maréchal libyen Khalifa Haftar a occulté ce plan et les négociations.
Rome le voulait à tout prix à la table des discussions avec son principal rival, le chef du gouvernement reconnu par la communauté internationale, Fayez el-Serraj. La rencontre a finalement eu lieu mardi matin en marge du sommet. L’échange de plus de deux heures n’était pas officiellement prévu et a retardé la session plénière réunissant quelque 38 délégations. «On ne change pas de cheval» jusqu’aux prochaines élections, aurait lâché le maréchal, appuyant ainsi son rival de l’ouest, selon une source italienne.
La crise ne peut pas se résoudre si certains pays continuent de pirater le processus
Fuat Oktay, vice-président de la Turquie
Le comportement du général libyen aurait irrité des représentants libyens s’étant sentis seulement spectateurs et non plus acteurs de cette conférence. Après avoir laissé planer le doute sur sa présence à Palerme, Khalifa Haftar s’est présenté lundi soir devant le premier ministre italien pour l’accueil et la photographie avant de boycotter le dîner de travail. Il a ensuite volé la vedette mardi à tous les autres invités, dont des représentants de certaines milices libyennes, avant de déserter une nouvelle fois les travaux. La Turquie s’est officiellement fait l’écho des mécontentements. «La communauté internationale n’a pas réussi à s’unir, a regretté son vice-président, Fuat Oktay, dans un communiqué. La crise ne peut pas se résoudre si certains pays continuent de pirater le processus pour servir leurs propres intérêts.» Les regards se sont tournés vers Paris, vu comme le grand rival de Rome dans le dossier libyen, après ses tentatives cette année de faire cavalier seul.