«Fillongate» ou injuste «tribunal médiatique»? Les électeurs de droite vont devoir, en France, se faire rapidement une idée à quatre mois de l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 2017.

C’est à cette question que François Fillon large vainqueur de la primaire à droite de novembre 2016 face à Alain Juppé, va surtout devoir répondre ce dimanche lors de son grand meeting de début de campagne à Paris, Porte de la Villette. Son intervention est prévue peu avant 16 heures. Son épouse Penelope, soupçonnée d’avoir bénéficié de plusieurs emplois fictifs, à l’Assemblée nationale puis dans une revue mensuelle, sera présente à ses côtés, avec les principaux ténors de la droite. Seul Nicolas Sarkozy, qui lui a renouvelé son soutien par téléphone, sera absent. Le Temps passe en revue les questions qui secouent le candidat, toujours donné favori pour la présidentielle, moins d’une semaine après les révélations du Canard enchaîné.

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■ Un scandale politico-financier avéré?

François Fillon a désormais calé sa ligne de défense en expliquant au Journal du dimanche qu’il ne répondra plus au «tribunal médiatique» qui l’accuse d’avoir fait bénéficier son épouse Penelope de plusieurs emplois fictifs entre 1998 et 2012, assurant à cette dernière une très confortable rémunération de plus de 500 000 euros. L’affaire, rappelons-le, est depuis le jour même de la parution du Canard enchaîné dans les mains du Parquet National Financier qui a immédiatement ouvert une enquête préliminaire pour «détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits». La justice semble vouloir faire vite, puisque plusieurs auditions ont eu lieu ces derniers jours, et qu’une perquisition a été effectuée dans les locaux de la Revue des Deux Mondes pour laquelle Penelope Fillon aurait travaillé en 2012-2013. François Fillon a pour sa part tiré une ligne rouge jeudi soir sur TF1, affirmant qu’il renoncera à se présenter s’il est mis en examen dans ce dossier.

La réalité est d’abord factuelle: Penelope Fillon, 61 ans, a bien perçu des émoluments à hauteur d’au moins 500 000 euros pour la période concernée, d’abord comme assistante parlementaire de son mari, puis dans les mêmes fonctions auprès du remplaçant de celui-ci (nommé premier ministre en 2007), puis comme collaboratrice à la Revue des Deux Mondes possédée par le financier conservateur et libéral Marc Ladreit de Lacharrière. Il s’agit donc de savoir si ces emplois étaient ou non fictifs, ce que semblent accréditer un certain nombre de témoignages. L’affaire s’annonce toutefois difficile à démêler car l’emploi de son conjoint par un parlementaire est légal en France, et que le propriétaire de la Revue des Deux Mondes affirme avoir confié des missions à Mme Fillon, dont son rédacteur en chef de l’époque n’avait pas connaissance.

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Il faut redire aussi que ces pratiques parlementaires sont pratiquées par tous les camps politiques. A priori, le cas de la revue parisienne pourrait d’ailleurs être le plus difficile pour Mme Fillon car son emploi fictif est, en droit, un «abus de bien social». Une autre affaire s’est en plus ajoutée ce matin. Le Journal du dimanche affirme qu’entre 2005 et 2007, quand il était sénateur, «François Fillon a perçu sept chèques à son nom», un par trimestre, pour «un montant total de l’ordre de 21 000 euros» correspondant à des «reliquats de crédits d’assistants». Et selon le site d’information en ligne Mediapart, l’ex-Premier ministre «s’est mis dans la poche une partie des crédits théoriquement réservés à la rémunération d’assistants, grâce à un système de commissions occultes». Des «sommes siphonnées» qui ne dépasseraient «sans doute pas les 25 000 euros».

■ Un «tribunal médiatique»?

C’est ce que dénonce François Fillon en se disant victime d’un lynchage par la presse. Est-ce le cas? Pas sûr. Le candidat lui-même a pu se défendre en direct dans les médias, y compris à TF1. Sa version des faits, selon laquelle sa femme lui prodiguait des conseils importants et discrets, a été abondamment relayée. Ou est le lynchage alors que dans d’autres pays européens, la pression à sa démission aurait été immédiate? Le problème, pour François Fillon est qu’il se trouve aussi sur la sellette pour deux autres raisons: le montant des rémunérations de son épouse, très important au vu des salaires moyens en France; et sa propre posture de «père la morale» qui s’est toujours félicité de n’avoir jamais été mis en examen, contrairement à ses principaux rivaux de droite.

La mise en cause du vainqueur de la primaire de la droite doit aussi être mise en rapport avec son statut de favori à l’élection présidentielle de 2017… Face à la candidate de l’extrême droite Marine Le Pen qui a fait de la détestation des élites politiques et de leurs «magouilles» son angle d’attaque préféré. Important aussi: tous les médias répètent en boucle depuis le début que ces pratiques sont habituelles au sein du parlement français, qu’elles sont légales – il sera très difficile, voire impossible de prouver que Penelope Fillon n’a pas conseillé son mari – et que tous les camps politiques en abusent. Alors? François Fillon n’est pas aujourd’hui déstabilisé par la presse, mais par des révélations qui le mettent en porte à faux avec sa posture de candidat intègre. Ajoutons un élément très français: le rapport à l’argent, toujours compliqué dans ce pays. Or les sommes en question sont importantes. L’élu Fillon, qui possède un manoir dans son fief de la Sarthe et qui a souvent été épinglé par le Canard enchaîné pour ses goûts de luxe, dispose d’un patrimoine conséquent, que la Haute autorité pour la transparence de la vie politique crée en 2013 a d’ailleurs transmis à la justice.

■ Une candidature mal en point?

François Fillon devra démontrer le contraire ce dimanche, avec son discours au meeting parisien de La Villette, présenté comme le lancement de sa campagne. Presque tous les ténors de la droite seront présents, sauf l’ancien président Nicolas Sarkozy qui lui a témoigné son soutien au téléphone. On sait que le perdant de la primaire, Alain Juppé, a de son côté déclaré jeudi qu’il ne serait en aucun cas candidat à la présidence. La route reste donc libre pour le candidat Fillon qui doit néanmoins faire face à deux problèmes majeurs.

Le premier problème est le poison de la rumeur. Tant que les investigations judiciaires se poursuivent, la famille Fillon est soupçonnée, son image est atteinte, et les électeurs se retrouvent toujours plus nombreux à douter. C’est une réalité que tous les candidats connaissent. Il est probable que le Parquet National Financier, conscient de cette situation, accélère sa procédure dont certains Fillonistes continuent de penser qu’elle a été enclenchée par le pouvoir socialiste actuel. La popularité de François Fillon est affectée par ce scandale. Il aurait perdu, selon les sondages, entre 16 et 4% d’intentions de vote. Ce n’est pas fiable pour en tirer des conclusions, mais…

Le second problème est interne à la droite. Comment ne pas réveiller, avec cette affaire, les rancœurs au sein de son propre camp, les interrogations sur son programme de réduction drastique du nombre de fonctionnaires et de privatisation partielle de l’assurance maladie et de la sécurité sociale, à laquelle les Français sont très attachés? Comment, aussi, imposer ses candidats aux législatives de juin 2017 (après les présidentielles) dans un climat devenu délétère? La posture mise en cause par ce «Penelopegate» est celle de l’unité du camp conservateur.

François Fillon, rappelons-le, est le vainqueur surprise de la primaire. Il a blessé beaucoup de ses pairs en attaquant l’ancien président Nicolas Sarkozy qui l’avait installé à Matignon. Il a, selon les juppéistes, tardé à dénoncer les attaques de ceux qui présentaient le maire de Bordeaux comme «Ali Juppé». Ces fractures-là ne sont, à l’évidence, pas dissipées.