En a-t-il parlé à son nouveau coach, Zinedine Zidane? Toute la journée de jeudi, les réactions ont fusé après les propos de Karim Benzema qui avait la veille attribué sa non-sélection au sein des Bleus à la «France raciste» tout en exonérant le sélectionneur de tels sentiments et en réitérant son soutien à l’équipe au sein de laquelle il compte 81 sélections. Avec une question vite hissée par les médias sociaux au rang de sujet de société majeur dans un Hexagone déjà fracturé par les attentats et les grèves: peut-on laisser un joueur de foot, aussi brillant et populaire soit-il (40 millions de fans sur les réseaux), enflammer les ressentiments communautaires et identitaires, et transformer l’Eurofoot en test de cohésion sociale, à l’image du Mondial dominé par l’équipe Deschamps-Zizou?

La réponse est venue, presque identique: oui, la France de 2016 a un problème de racisme, attesté par les enquêtes sur l’augmentation problématique des actes islamophobes et antisémites. Mais non, le racisme n’est pas la cause de l’éviction de Karim Benzema, englué dans l’affaire du chantage à la sextape de son ex-coéquipier Mathieu Valbuena (lui aussi non sélectionné).

«Karim aime mal l’équipe de France», a résumé l’ancien défenseur des Bleus de 1998 Lilian Thuram, connu pour ses plaidoyers cinglants en faveur de la diversité. Une approche partagée hier matin sur le plateau de BFM TV par Tariq Ramadan: «La France a clairement des problèmes de racisme, en partie hérités de la colonisation, a déclaré l’islamologue suisse. Mais dans ce cas précis, le sélectionneur avait sans doute bien d’autres raisons de ne pas choisir Karim Benzema.»

L’affaire est surtout symbolique par l’écho que les quelques mots de l’avant-centre madrilène, tout juste vainqueur aux tirs au but avec son club de la Ligue des champions, ont immédiatement reçu. La preuve que la question raciale, un temps occultée par le mythe de l’équipe «black-blanc-beur» de Zidane et consorts, est bel et bien présente dans les stades et autour, parmi les supporters et dans l’opinion publique.

Guy Roux, l’ex-entraîneur vétéran d’Auxerre, fin connaisseur des hommes et de l’alchimie nécessaire à la constitution d’une équipe, avait été l’un des premiers, à l’annonce de la non-sélection de Benzema, à mettre en garde dans les colonnes du Parisien: «Cela se serait peut-être passé autrement s’il ne s’était pas prénommé Karim», avait déclaré celui qui peut se targuer d’avoir, naguère, géré la «star» problématique Eric Cantona, ou le défenseur d’origine ivoirienne Basile Boli, récemment classé par l’historien Pascal Ory comme un de ces «étrangers qui ont fait la France» après son but en finale de la Ligue des champions de l’UEFA 1993, qui donna la victoire à Marseille contre l’AC Milan.

Plus problématique est surtout le moment choisi par Karim Benzema pour évoquer cette «pression d’une partie raciste de la France». «Ce joueur sait pertinemment que ses propos, à dix jours de l’ouverture de l’Euro, sont hautement inflammables, y compris au sein de l’équipe de France où un joueur comme l’attaquant niçois Hatem Ben Arfa (sélectionné parmi les suppléants) pense aussi avoir été écarté à tort», juge un cadre de la Fédération française de football, contacté en Autriche où les Bleus effectuent leur dernier stage préparatoire avant de rencontrer l’Ecosse en match amical ce samedi à Metz. Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, s’est d’ailleurs bien gardé, lui, de réagir.

La réalité est que le racisme dont les Français musulmans s’estiment de plus en plus victimes depuis les attentats a de plus en plus pignon sur rue. «La parole islamophobe s’est libérée en France, c’est une réalité», reconnaît un récent rapport de l’Institut national d’études démographiques, en pointant surtout du doigt les relations au travail. Idem pour l’Institut Montaigne, résolument libéral, qui dans une étude récente a confirmé les évidentes discriminations à l’embauche vis-à-vis des patronymes arabes. Sauf que le sport, justement, est sûrement le secteur de la société française qui échappe le plus à ces fractures: «Benzema doit se poser une seule question. Aurait-il été sélectionné s’il s’était tenu à l’écart de cette histoire de sextape? juge un enseignant à l’Institut national du sport, près de Vincennes. Or la réponse est sans doute oui.»