Paris, nerf de toutes les guerres
Le cas de l’Ile-de-France est bien sûr emblématique sur le plan politique. «Paris a été le nerf de toutes les guerres. Si la capitale craque, le pays s’affaisse et se démoralise. Tout se joue là. Face au virus comme face aux autres menaces. La France n’est pas pour rien un pays très centralisé», nous confirmait fin mars la députée alsacienne Patricia Schillinger, aide soignante de profession. C’est de Paris que parlent les syndicalistes les plus véhéments du milieu médical hospitalier. C’est ici que le point presse quotidien du directeur national de la santé, Jérome Salomon, a lieu. Mais c’est aussi de Paris, et de sa banlieue, que proviennent les peurs dévastatrices.
Peur de troubles à l’ordre public si le confinement tarde, dans des quartiers où l’habitat insalubre est une pandémie de tous les jours. Peur d’altercations croissantes avec des forces de l’ordre sur les dents. Une embuscade tendue dans la nuit de mardi à mercredi aux policiers à Sartrouville, avec feux de poubelles, jets de pierres et cocktails Molotov, a confirmé que la bataille menée contre le coronavirus peut aussi dégénérer sur ce terrain-là. Au point que le ministre adjoint de l’Intérieur, Laurent Nuñez, aurait, selon Le Canard enchaîné, incité ses troupes à «ne pas faire de zèle» dans les cités sensibles…
Réquisitionner taxis et VTC
Du côté sanitaire, le front est double: social et médical. Ancien président d’Emmaüs France – le mouvement fondé en 1985 pour regrouper les communautés d’aide aux plus démunis lancé par l’Abbé Pierre (décédé en 2007) – et nommé à ce titre haut-commissaire pour les solidarités sous la présidence Sarkozy, Martin Hirsch sait que misère urbaine, quartiers difficiles, maladies liées à une mauvaise alimentation sont autant de facteurs possibles de propagation et de vulnérabilité.
Dans les colonnes du Monde, à la mi-mars, l’intéressé tirait déjà le signal d’alarme: «Ce serait mentir que de prétendre qu’on aborde cette épidémie dans les meilleures conditions. Toutes les difficultés qui existaient et que nous reconnaissions avant la propagation de ce virus ne se sont pas effacées par magie. Personne ne les oublie.» D’autant que la difficulté de circulation est un autre facteur aggravant. Circuler entre Paris et la banlieue est encore possible, grâce au service ferroviaire minimum. Mais chaque transit dans les gares et dans les transports en commun accroît, pour les soignants, les risques d’être contaminés ou de contaminer. André Gattolin est sénateur des Hauts-de-Seine, le département dont le président, Patrick Devedjian est décédé le 29 mars du Covid-19: «Il n’est pas normal de ne pas avoir réquisitionné les taxis et VTC pour le personnel médical. Dans une situation de tension comme celle que traverse l’Ile-de-France, on ne peut pas se battre sans moyens exceptionnels.»
Le point en France
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Cinq cents lits supplémentaires en réanimation
La question médicale est aussi rendue complexe, plus encore que dans le reste de la France, par la profusion d’initiatives mal coordonnées, voire de querelles. Exemple: la réquisition controversée par le gouvernement d’une cargaison de masques destinés au personnel de la région dont la présidente, Valérie Pécresse – citée comme possible «présidentiable» pour 2022 –, affirme s’être fait aussi subtiliser des commandes en Chine par des acheteurs américains. Autre cas problématique: celui du préfet de police de Paris, Didier Lallement, contraint de se rétracter et de s’excuser après avoir affirmé que les patients en réanimation sont ceux «qui n’ont pas respecté le confinement», lien qu’aucun hôpital n’a pu directement établir.
Difficulté aussi sur le front de l’hydroxyde de chloroquine, le traitement défendu par le professeur marseillais Didier Raoult, autorisé dans les hôpitaux mais en rupture de stock, au point que la pharmacie centrale de l’APHP est aujourd’hui en pénurie. Résultat: des hôpitaux parisiens en manque alors que le géant pharmaceutique Sanofi, producteur du Plaquénil, dispose de deux usines en Ile-de-France. Un groupe de gestion des pénuries a même été mis en place par l’APHP, pour gérer le manque de curares (pour intuber les patients), de sédatifs, d’antibiotiques ou de morphine.
Bataille décisive? «Les hôpitaux de l’APHP n’ont jamais été confrontés à un phénomène d’une telle ampleur», confirme Martin Hirsch, dont les hôpitaux traitent 10 millions de patients par an. S’y ajoutent les EHPAD, les maisons de retraite où 820 personnes sont décédées en France depuis le début de la crise. La capitale française compte à elle seule 85 EHPAD. Plus d’une vingtaine de pensionnaires de l’un d’entre eux, géré par la Fondation Rothschild, sont morts début avril. La région parisienne est aujourd’hui le premier pourvoyeur de transferts médicaux en TGV médicalisés vers les régions françaises les moins touchées. Cinq cents lits supplémentaires en réanimation ont été débloqués par l’Agence régionale de santé. La bataille de Paris est aujourd’hui celle de tout un pays.