Oublié le rassemblement «au-delà des partis». Oublié le «ni à droite ni à gauche». Après les élections européennes de dimanche, Emmanuel Macron n’a plus qu’une stratégie: continuer d’apparaître comme l’alternative à Marine Le Pen et au basculement de la France dans un repli souverainiste et nationaliste. «Macron s’est fait élire en cassant la gauche modérée. Il a réussi sa remontée aux européennes grâce au siphonnage des voix de la droite. Mais pour lui, la seule variable est: comment battre Le Pen en 2022», résume un ancien conseiller à l’Elysée sous François Hollande, dont le chef de l’Etat était alors l’un des plus proches collaborateurs.

Le Pen-Macron: le duel, sur le papier, a tourné dimanche à l’avantage de la première, dont la liste dirigée par le jeune Jordan Bardella (23 ans) a obtenu 23,3% des suffrages contre 22,4% pour la liste «Renaissance» emmenée par l’ancienne ministre Nathalie Loiseau. Mais dans les faits, la remontée du camp macronien est spectaculaire. Depuis la mi-mai, l’écart s’était creusé dans les sondages, au profit du Rassemblement national. Et jusqu’à 17 heures dimanche, les enquêtes téléphoniques réalisées auprès des électeurs ayant voté donnaient entre 25 et 26% des voix à l’extrême droite.

Un vote légitimiste

Que s’est-il passé? «La clé de ce scrutin se trouve dans les métropoles, du côté des classes moyennes supérieures et des retraités», explique une note de l’institut IPSOS qui détaille la carte électorale française du 26 mai. Dans les grandes villes bousculées, voire violentées par des mois de manifestations des «gilets jaunes», le vote légitimiste, en faveur de l’autorité de l’Etat, l’a emporté sur la protestation anti-européenne et antisystème incarnée par Marine Le Pen. «Le nouveau clivage est là: la France de la colère contre la France du progrès», résumait à juste titre avant le vote le politologue Roland Cayrol.

Pour le locataire de l’Elysée, cette élection européenne en forme de «remontada» est un succès réel. Même s’il avait parié sur sa capacité à dépasser la liste du Rassemblement national, Emmanuel Macron savait la cause rendue difficile par les prestations décevantes de sa tête de liste Nathalie Loiseau et par le contexte d’une vague souverainiste en Europe. Faire, in fine, presque jeu égal satisfait donc pleinement le camp présidentiel, même si deux écueils majeurs demeurent: la faible base électorale macronienne (22,4% contre 24% au premier tour de la présidentielle de mai 2017), et le caractère particulier de ce scrutin qui n’avait pas d’enjeu national. Qu’en sera-t-il en mars 2020, pour les municipales que la droite traditionnelle, aujourd’hui très affaiblie (8,3% des voix), va préparer d’arrache-pied en mobilisant ses élus locaux? «On ne pourra se rebâtir qu’à partir des territoires», a prévenu, mardi, le président du Sénat, Gérard Larcher, figure du camp conservateur.

Un socle fragile

Quelles conséquences pour la vie politique française, alors qu’Emmanuel Macron va s’employer à tirer le plus d’avantages possible de sa percée électorale sur le plan européen, à travers le futur groupe centriste «Renaissance» qu’il espère voir se constituer autour de sa liste?

La première est de caricaturer le débat: «Macron ne peut pas toujours jouer de la carte «Je suis l’alternative face à Le Pen». Cela marche pour le moment car aucune autre figure politique majeure n’a émergé. Mais si quelqu’un comme Xavier Bertrand (l’actuel président de la région Hauts-de-France) s’engage dans la bataille, l’échiquier bougera…», prédit un député proche du centriste François Bayrou.

Seconde leçon: en se présentant comme le recours, le président français s’interdit d’autres réformes «clivantes» alors qu’il a promis de «transformer la France». Son défi est dès lors compliqué pour les trois années de quinquennat à venir: comment continuer d’incarner le changement en évitant de remettre les Français dans la rue, tant le niveau de colère reste élevé.

Le duel Macron-Le Pen est celui que voulait le plus jeune chef d’Etat de la Ve République. Mais il n’est pas suffisant pour constituer, de façon durable, un électorat majoritaire fidèle. Le président français est resté debout à l’issue de ces européennes. Mais son socle demeure fragile.