violence
Le gouvernement français a ouvert mardi une réflexion de plusieurs mois pour mieux lutter contre les violences conjugales. Un sujet de société dont Emmanuel Macron veut faire l’une des marques de son quinquennat.

Fallait-il, pour marquer l’opinion, parler de «Grenelle contre les violences conjugales»? Après les premières annonces, mardi, du premier ministre français, Edouard Philippe, pour mieux lutter contre ce douloureux problème de société, la question est posée.
Le terme «Grenelle», en référence à la rue de Paris où se trouve le Ministère du travail et, juste en face, l’Ambassade de Suisse, évoque les discussions entre le gouvernement de Georges Pompidou et les syndicats, en pleine crise de mai 1968. Les fameux accords de Grenelle avaient alors débouché, entre autres, sur une augmentation de plus de 35% du salaire minimum légal et sur le retour presque immédiat du calme dans les usines. Difficile de croire, en revanche, que les mesures annoncées hier stopperont rapidement l’épidémie de violences conjugales en France, où plus de 100 femmes sont mortes à la suite de violences perpétrées par leur conjoint ou ex-compagnon depuis le début de l’année. Le chiffre s’élevait à 121 pour 2018. En 2017, 219 000 femmes françaises ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles et plus de 12 000 cas de menaces de mort ont été enregistrés par les forces de sécurité.
«Une grande cause nationale»
«L’idée de Grenelle est surtout celle de la priorité nationale et du changement d’époque, comme cela fut le cas en 1968 sur les questions sociales. Il y a des choses, aujourd’hui en France, qui ne sont plus tolérables», souligne un conseiller de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, à la pointe sur ce sujet. L’idée est, on l’aura compris, de faire de cette question une «grande cause nationale» et un «marqueur» de la présidence Macron. Non sans controverse autour de la personnalité de Marlène Schiappa, toujours en embuscade pour se saisir des sujets qui provoquent des remous dans l’opinion comme le scandale #MeToo, à la suite de l’affaire du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, ou les récents soupçons sur des ramifications françaises du réseau qui «alimentait» en jeunes filles le financier américain Jeffrey Epstein, retrouvé pendu dans sa cellule à Manhattan le 10 août dernier.
Ce front de la cause des femmes est une affaire très politique pour un Emmanuel Macron crédité d’un net regain de popularité (43% d’opinions favorables ces jours-ci, contre 23% au plus fort de la crise des «gilets jaunes»). Le 6 octobre prochain, une manifestation réunira à Paris les opposants au nouveau projet de loi sur la procréation médicalement assistée, qui ouvrira celle-ci à toutes les femmes qui le souhaitent. Lors de la crise des «gilets jaunes», la situation des femmes isolées, et leur déclassement social, a aussi été très débattue, entraînant l’annonce de mesures pour permettre aux mères célibataires de recouvrer les pensions alimentaires impayées. Agir contre les violences conjugales qui touchent la France confirme donc cet engagement.
Lire aussi: La Suisse s’apprête à durcir sa législation sur la violence conjugale
Mise en oeuvre de nouvelles mesures
«Aujourd’hui, dans notre pays, des femmes, nos concitoyennes, meurent étranglées, poignardées, brûlées vives, rouées de coups. Tous les deux ou trois jours», a déploré le premier ministre, Edouard Philippe. «Depuis des siècles, ces femmes sont ensevelies sous notre indifférence, notre déni, notre incurie, notre machisme séculaire, notre incapacité à regarder cette horreur en face…» Coincidence: Emmanuel Macron a lui même été témoin des difficultés administratives rencontrées par les victimes lorsqu'un gendarme a, alors qu'il visitait un centre d'appel d'urgence, refusé d'accompagner une femme en difficulté à son domicile pour récupérer ses affaires....
Cette plaie française des violences conjugales et des féminicides, qui sera disséquée dans les trois mois à venir par une centaine d’associations dans le cadre de ce «Grenelle», n’a pour l’heure entraîné que quelques décisions. La création d’environ 1000 nouvelles places d’hébergement d’urgence, la création de procureurs référents «spécialisés», la suspension de l’autorité parentale pour les pères violents, le port d'un bracelet électronique de surveillance pour les hommes mis en cause, la possibilité de déposer plainte à l’hôpital et le déblocage de 5 millions d’euros supplémentaires (en plus des 80 millions annuels alloués à cette cause) sont encore loin des demandes présentées par le collectif #NousToutes conduit par la militante féministe Caroline de Haas.
«Audit» des pratiques policières
Ce collectif réclame 500 millions d’euros, et exige surtout des mesures rapides pour améliorer la prise en charge dans les commissariats des femmes victimes, alors que le gouvernement envisage d’abord un «audit» des pratiques policières. Etonnamment, des solutions existant ailleurs en Europe, comme l’application informatique espagnole VioGén – qui a permis de faire baisser de 63% le taux de récidive car il informe simultanément les services sociaux, judiciaires et policiers – ne sont toujours pas envisagées. Les femmes françaises n’ont pour l’heure pas d’autre solution que de joindre un numéro d’urgence, le 3919. Le débat existe aussi sur la création, ou non, dans le Code pénal d’une infraction de «féminicide», distincte de l’homicide qui recouvre tout type de meurtre.
S’ajoute à cela le sujet tabou, impossible à quantifier en raison de l’absence de statistiques «ethniques» en France, qu’est la recrudescence du nombre de «crimes d’honneur» ou de violences conjugales dans les communautés issues de l’immigration, en particulier en provenance des pays des Balkans, du Maghreb, de la Turquie ou de l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Afghanistan). Le regroupement familial avec des époux ou ex-époux violents devrait pouvoir être «conditionnel», exige les défenseurs des femmes, désolés de constater l’absence d’étude abordant ces questions sous l’angle communautaire.