Frauke Petry: «Notre société se désagrège et nous refusons de l’admettre»
Populisme
Frauke Petry, candidate populiste aux élections allemandes de 2017, expose les convictions de son mouvement. Frontières, camps pour migrants et guerre avec l’islam sont au cœur de son credo

Serions-nous avec Frauke Petry, leader du parti populiste Alternative für Deutschland (AfD), en présence de la première rivale effective d’Angela Merkel?
Difficile d’ignorer les points communs entre celles qui sont devenues les figures majeures de la politique allemande en 2017. Toutes deux sont nées en RDA, elles sont titulaires d’un doctorat en chimie, elles ont les cheveux courts. Et surtout, elles savent écarter les hommes qui leur barrent le passage.
Bien sûr, Frauke Petry n’est pour le l’heure, qu’une puissance en devenir. Mais si son parti AFD parvient à entrer au parlement en septembre 2017, ce qui semble probable, il serait la première formation de droite radicale à occuper un siège dans le parlement allemand depuis sa création. Un succès qui changerait la face de l’Europe.
Le Temps: Vous avez été l’épouse d’un pasteur luthérien avec lequel vous avez eu 4 enfants. Croyez-vous en Dieu?
Frauke Petry: Je pense que oui. Mais vous savez, lorsque vous partagez votre vie avec un pasteur, vous vous rendez compte que nombre d’entre eux doutent. La théologie et le métier de pasteur ne sont pas forcément compatibles. Pour ce qui me concerne, ma foi est très liée à la musique. En RDA, je faisais partie des rares enfants ayant accès à l’Eglise. J’ai aussi joué l’orgue pendant de nombreuses années et, jusqu’à récemment, je faisais partie d’un chœur semi-professionnel. Je me sens confortable avec l’idée qu’il existe quelque chose au-delà de l’humanité, quelque chose que nous ne sommes pas en mesure de comprendre.
– Nous sommes voisins. Quelle est votre opinion de la Suisse?
– J’entends de nombreux Suisses se plaindre d’être beaucoup plus proches de l’Union européenne qu’il ne le semble de l’extérieur. Quoi qu’il en soit, son modèle économique et politique nous prouve qu’il est possible de vivre selon ses propres règles. Dès lors, la Suisse reste pour moi un symbole unique d’indépendance.
– Vous souhaitez réintroduire les frontières en Europe?
– Si nous souhaitons restaurer des frontières, c’est simplement parce qu’elles sont nécessaires à la préservation d’une société libre et démocratique. Je pense que le concept de l’Union européenne a échoué parce qu’il a retiré la souveraineté de chaque nation. Il a ôté la possibilité de chaque pays de se développer à son rythme, d’avoir la liberté de décider s’il veut ou non participer à tel ou tel projet européen. La vision de l’AFD est donc de revenir à une Europe dans laquelle les pays partagent certains objectifs, certaines idées, mais ne sont plus obligés d’adhérer à une et même politique.
– Vous êtes en défaveur de la mondialisation?
– Si la mondialisation signifie qu’il n’est plus possible d’appliquer des règles, elle ne peut qu’échouer. L’expérience nous montre qu’il y a d’un côté les gagnants de la mondialisation et, de l’autre, les perdants. Elle nous montre aussi que la majorité des citoyens n’en profitent plus. Je ne suis absolument pas d’accord avec la croyance que la mondialisation est une loi de la nature, qu’elle arrive tout simplement et que nous ne pouvons rien y faire. Je pense au contraire qu’il est notre devoir, particulièrement en tant que politicien, de lui appliquer des règles et des limites.
– Vos idées politiques sont-elles inspirées par une philosophie particulière?
– «Aie le courage de te servir de ton propre entendement des choses.» Je reviens régulièrement à Emmanuel Kant que je considère comme l’un des plus grands philosophes de tous les temps. J’ai hélas l’impression que nous sommes en train de perdre le savoir qu’il nous a transmis. En Europe, l’usage du Verstand, de l’entendement, se raréfie. En résulte que nos actions sont de plus en plus gouvernées par l’utopie politique, soutenue notamment par les Verts et les partis de Gauche.
– Qu’entendez-vous par utopie politique?
– Si vous analysez la scène politique actuelle, vous réalisez qu’un nombre incalculable de politiciens dessine le portrait d’une Europe, et plus spécifiquement d’une Allemagne, qui ne correspond plus du tout à la réalité. Penser que la diversité peut vivre sans frontières, que nos origines ou notre lieu de naissance ne comptent pas révèle de l’utopie. C’est comme si nous croyions à l’avènement d’un genre humain nouveau, d’un genre humain qui aurait évolué. Or, l’histoire ne cesse de nous montrer que la nature humaine ne change fondamentalement jamais. La liberté a besoin de limites et de règles pour exister. C’est d’ailleurs la première chose que l’on apprend lorsque l’on devient parent. Pour croître, l’enfant à besoin qu’on lui pose des règles.
– L’homme, n’a-t-il pas par définition besoin d’une utopie pour supporter la réalité?
– Il a besoin d’une vision, mais pas d’une utopie. L’utopie est dangereuse. Nous vivons aujourd’hui dans une société qui se désagrège et nous refusons de l’admettre. Nous voulons continuer de croire qu’ouvrir nos frontières ne changera rien à la société, mais c’est faux. Avec l’expansion de la population d’un côté et le ralentissement démographique que nous subissons actuellement en Europe, nous sommes en train de modifier les bases mêmes de nos sociétés. Si nous continuons ainsi, nous finirons par disparaître.
– «Il y a deux façons de mourir pour une culture», affirme le philosophe français Régis Debray. «Des mains de l’ennemi ou par absence d’ennemi. La tranquillité endort, les agressions réveillent.» Nous faut-il des ennemis pour survivre?
– Regardez les Romains. Leur culture a disparu le jour où ils ont vaincu la totalité de leurs ennemis.
– En secouant le système, comme le fait l’AFD, ne risquons-nous pas le retour d’une guerre?
– La guerre a déjà commencé. Une guerre n’a pas forcément besoin d’être criante et accompagnée d’une multitude de morts pour exister. Elle peut aussi se manifester silencieusement, comme ce fut le cas dernièrement en France, en Belgique et en Allemagne. Il suffit de regarder les problèmes de migrations pour comprendre que la guerre, entre l’Europe et la culture islamique, est bel est bien réelle.
– Gerhard Schroeder affirme, à propos de la décision d’Angela Merkel d’ouvrir les frontières aux migrants, que «nul autre chancelier allemand n’aurait pu refuser l’entrée des réfugiés.» Partagez-vous son avis?
– Elle aurait tout à fait pu refuser.
– Pourquoi a-t-elle accepté?
– Je ne suis pas dans la peau d’Angela Merkel, mais je pense que la majorité de ses décisions sont motivées par sa volonté de rester au pouvoir. Celle-ci fait exception. C’est peut-être d’ailleurs la seule fois dans sa carrière politique qu’elle a réagi émotionnellement.
– Pourquoi?
– Je pense qu’elle a voulu faire preuve d’humanité. Cela s’explique aussi par le fait que l’Allemagne pense encore tenir une responsabilité historique envers le monde et qu’il est de son devoir de faire le bien. La conscience d’avoir perdu la guerre et d’être coupables des événements du passé reste chez nous très forte. C’est un sentiment qui commence à se dissiper dans les générations montantes, mais les politiques font tout pour la maintenir artificiellement en vie.
Ils produisent, par exemple, des sondages pour nous prouver à quel point la population allemande est antisémite. Mais en même temps, ils ignorent que c’est en accueillant un nombre incalculable de migrants aux valeurs antisémites, qui ne partagent pas nos idées, qui sont complètement hostiles envers la population juive et l’Etat d’Israël, qu’ils favorisent l’antisémitisme. Je considère d’ailleurs Angela Merkel comme la plus grande importatrice d’antisémitisme en Allemagne depuis le siècle dernier. L’antisémitisme a toujours existé en Europe, ce qui ne veut pas dire qu’il faille l’accepter. Mais prétendre que les Allemands sont pires que les autres n’est plus acceptable.
– Que devrait faire un chancelier allemand à présent?
– De nombreuses choses. Mais aucune d’entre elles n’est agréable à entendre. La première serait de fermer les frontières à la migration illégale. La deuxième, de renvoyer une grande partie des personnes dans leurs pays d’origine.
– Et si elles refusent?
– Si les pays d’origine les refusent, nous avons les moyens de leur infliger des sanctions. Et si cela ne suffit, il faut penser au modèle Australien: envoyer les réfugiés dans un lieu précis et si nécessaire, les installer dans des camps. C’est une solution brutale, mais je ne vois pas comment nous pourrions régler ce problème autrement.
– Pouvons-nous réellement ignorer les problèmes de pauvreté et de surpopulation en Afrique et ailleurs?
– La seule façon de combattre la pauvreté et la famine en Afrique serait de réduire sa population. Stopper les aides au développement afin qu’elle puisse se débrouiller par elle-même. La Chine, tout comme l’Iran, a trouvé des moyens de ralentir l’expansion de sa population quand il le fallait. Mais l’Afrique, qui voit son taux de natalité et, par conséquent, de pauvreté exploser, compte sur le soutien de l’Europe et du restant du monde pour régler ses problèmes.
Je lisais l’autre jour un livre sur la croissance exponentielle. Il y était démontré que nous ne parviendrons pas à ralentir la famine en Afrique par l’aide financière. Pour diverses raisons, dont l’une est la rapidité de leur croissance démographique. Envoyer de l’argent en Afrique nous procure certes un sentiment de supériorité, une impression d’être bon. Mais, en réalité, c’est seulement en acquérant de la responsabilité pour elle-même que l’Afrique pourra s’en sortir.
- Votre carrière politique a commencé très récemment. Quelles leçons tirez-vous du milieu politique?
– Ne faire confiance à personne. C’est d’ailleurs un point que je regrette infiniment. Avant d’entrer en politique, je faisais d’instinct confiance aux gens que je rencontrais.
– Vous ne souffrez pas de cynisme?
– Non, je ne suis absolument pas cynique. Et je peux vous dire qu’en politique, ça n’aide pas!
– La presse est brutale à votre égard. J’imagine que cela fait partie du jeu. Comment vous en protégez-vous?
– Depuis que je me suis lancée en politique, j’ai perdu énormément de liens sociaux. Il y a même des parties de la famille, du côté de mon mari notamment, qui refusent de nous adresser la parole. C’est très dur de perdre des amis que vous avez eus pendant des dizaines d’années. Mon mari, qui vient d’un milieu un peu différent du mien, a été très touché par l’hostilité de son réseau social. Nous avons observé que ce sont davantage les personnes supposément éduquées, bien informées, qui gagnent bien leurs vies qui manifestent le plus d’adversité à notre égard. Le rejet provient surtout de l’establishment.
– Savez-vous pourquoi?
– Je pense que c’est une classe qui vit en quelque sorte dans le passé, dans un passé où il est bon d’effectuer des rituels de culpabilité sans jamais les questionner. Mais c’est probablement parce que la réalité n’a pas encore frappé à leurs portes.